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presbytères vides. Je n’émets là qu’une simple hypothèse, mais on devine aisément quelles en seraient les conséquences : la masse du clergé séculier se recrute aujourd’hui parmi le peuple des campagnes, bonne santé, mais esprit parfois un peu lourd ; la majorité des religieux sont des sujets appartenant aux classes moyennes, ayant derrière eux pas mal de générations cultivées. Libres de choisir par leur naissance et leur éducation entre l’exercice des professions libérales les plus diverses, d’impérieux sentimens de foi les ont portés à fuir le monde. Le zèle ou, selon le point de vue auquel on se place, le « fanatisme » de ceux-là serait donc beaucoup plus redoutable à leurs adversaires ; et le gouvernement n’aurait pas gagné au change si les circonstances futures faisaient à l’Église une nécessité de les employer directement au ministère pastoral.

Quel sera, d’un autre côté, le résultat du séjour à la caserne de ces jeunes lévites qui se disposaient à « être le partage du Seigneur ? » On paraît croire dans les deux camps, — et d’avance l’on en gémit à droite pendant que l’on en plaisante à gauche, — que leur vertu sera fortement entamée et leurs convictions refroidies. Il se peut que le contraire arrive, que ces jeunes « minorés » soient dans la chambrée autant d’apôtres, qu’ils y fassent des prosélytes et y opèrent des conversions, et qu’après avoir supprimé en temps de paix des aumôniers forcément un peu honoraires, et qui n’avaient que peu de contact avec la troupe, on n’ait, par la loi nouvelle, introduit sans y prendre garde, dans les rangs de l’armée, un noyau de missionnaires en pantalon rouge. Le cardinal Lavigerie a semblé prévoir cette éventualité dans les conseils qu’il adressait il y a quelques mois aux séminaristes de son diocèse : « Remerciez Dieu, leur dit-il, de ce que vous allez pouvoir évangéliser ces soldats à qui on a voulu enlever toute pensée, toute pratique de foi. Ils n’ont plus de prêtres parmi eux ; mais vous allez pouvoir, comme saint François, leur prêcher de près par vos exemples. Vous êtes, comme lui, les ministres de Dieu. Prêchez, comme lui, par l’accomplissement de tous vos devoirs et, en particulier, par celui des devoirs nouveaux que la loi vous impose… »

Qu’il me soit permis ici de signaler, dans la profonde répugnance avec laquelle l’opinion catholique a accueilli la suppression de la dispense militaire des élèves ecclésiastiques, un nouveau symptôme de cette séparation moderne du spirituel et du temporel dont j’ai déjà longuement parlé. Autrefois, le caractère sacerdotal semblait fort compatible avec une foule de fonctions que l’esprit contemporain juge avec raison devoir lui demeurer tout à fait étrangères. Le clergé du moyen âge allait à la guerre non pas seulement par force, mais quelquefois par goût. Charlemagne, qui passerait