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surtout, où le divorce, admis par le code Napoléon, avait été interdit, il se trouva des catholiques qui furent, selon l’expression ancienne, « démariés » à Rome, et qui ne purent l’être à Paris ; des catholiques qui, désunis par la loi spirituelle, se trouvaient obligés de vivre en état de concubinage, par suite du refus de la loi temporelle de briser leurs liens.

Pour rares que fussent ces cas, rendus possibles par la divergence des deux codes, ils suffisaient à rendre utile aux catholiques la nouvelle disposition législative. D’ailleurs, n’y avait-il pas quelque inconséquence, de la part du clergé, à déclarer que le mariage civil en lui-même ne signifie rien et à faire campagne avec tant d’impétuosité, en 1882, pour empêcher que l’on en changeât les conditions ? Cette conduite n’a d’autre raison d’être que la fidélité à la doctrine dont je parlais tout à l’heure, en vertu de laquelle l’État ne peut, sans encourir les foudres de l’Église, autoriser ce qu’elle n’autorise pas. Le cas du divorce, les polémiques qu’il a suscitées, sont une preuve que l’on s’est parfois laissé aller, à droite, à dénoncer comme anticléricaux des actes qui n’étaient, à les considérer de sang-froid, que la mise en pratique de la liberté de conscience. C’est une voie dangereuse ; on est toujours le clérical ou l’anticlérical de quelqu’un : un brave vicaire de mon département en veut encore à M. Buffet de ce que sous son ministère, en 1875, les pièces du pape ont cessé d’être reçues en France ; cette mesure lui paraît l’indice d’une hostilité injurieuse contre le saint-siège. Il m’a été impossible de convaincre cet ecclésiastique que la monnaie qu’il regrettait n’était pas d’un aloi très sûr et que, d’ailleurs, la circulation de l’argent avait dû être limitée par suite de la baisse de ce métal. Pour mon vicaire, M. Buffet aura beau prononcer au sénat des discours en faveur des congrégations, il restera toujours entaché d’un anticléricalisme relatif.

Heureusement le Vatican voit les choses de plus haut ; il a su plus d’une fois, tout en réservant ses principes, faire dans leur application les sacrifices commandés par les circonstances. Le jour où une séparation honnête et loyale lui serait imposée comme une nécessité de notre politique, il ne refuserait pas de souscrire, en France, à un régime dont il recueille ailleurs d’heureux fruits.

Restent les exagérés de ce groupe militant d’extrême gauche qui élève des autels à l’intolérance. Là, on déclare que « le problème de la séparation de l’Église et de l’État consiste à affranchir la liberté de conscience, et, par conséquent, la liberté de la religion, mais aussi à se défendre contre l’Eglise, qui n’est pas moins ennemie de la liberté de conscience qu’ennemie de l’État. » C’est comme si l’on disait : « Il faut assurer la liberté de penser, mais en exceptant, bien entendu, de cette liberté ceux qui ne pensent pas