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comme nous. » Un homme politique de cette école, qui depuis a pas mal jeté aux orties le froc jacobin dans lequel il s’est longtemps enveloppé, s’exprimait ainsi : « Il faut bien se garder de confondre deux choses absolument distinctes : la liberté religieuse et l’Église. La religion est un sentiment individuel, une vue de l’esprit, l’usage du plus sacré de ses droits ; que chacun parle, pense, écrive donc, avec une indépendance sans limite, sur l’origine et la fin des choses, se forge des dieux à son gré, voilà la liberté de la religion. L’Église, au contraire, est un état, un corps politique ayant ses lois propres… en contradiction irréductible avec les principes de la société moderne. Contre ce pouvoir, la France doit être sur le pied de guerre… » La liberté religieuse ne serait ainsi que la liberté de n’avoir pas de religion ou plutôt la défense de pratiquer aucune religion.

Entre ces deux peuplades guerrières qui campent aux extrémités de l’opinion et demandent au pouvoir : l’une d’extirper les jésuites, l’autre d’exterminer les francs-maçons, les gouvernemens sont ballottés, tiraillés sans cesse, portés à favoriser ou à combattre ce qu’ils devraient se contenter d’ignorer. Aucun d’eux n’a l’audace d’appliquer ce régime de la pleine indépendance qui fonctionne avec un succès si éclatant aux États-Unis d’Amérique. Bien des administrateurs français, de l’espèce bénigne et modérée, sont imbus de cette idée toute monarchique que l’État ne pourrait sans danger laisser vivre dans son sein, à l’état de nature, une grande puissance comme l’Église. Il existe dans notre société démocratique une puissance aussi grande que l’Église, c’est la presse ; l’État l’a réglée, il ne la règle plus. Les choses n’en vont pas plus mal et il s’est enlevé bien des ennuis. Beaucoup de membres du parlement n’envisagent la séparation de l’État d’avec l’Église que comme une suppression pure et simple du budget des cultes, sans compensation d’aucune sorte pour le clergé. A cet égard, cette séparation paraît aussi désirable aux uns qu’elle paraît redoutable aux autres, selon qu’ils souhaitent ou qu’ils craignent la ruine de l’Église. Ce serait déjà une question de savoir si l’on ne se trompe pas des deux côtés en croyant qu’une confession religieuse en ce pays et en cette fin de siècle pourrait être prise par la famine. Mais est-il personne de bonne foi pour nier la validité de la créance que le clergé catholique possède sur l’État par suite de la confiscation de ses biens en 1790 ? Tout ce que les subtilités historiques et juridiques, mises au service de l’esprit de parti, ont pu inventer depuis cent ans et pourraient inventer encore pour affaiblir le droit moral de l’Église à recevoir une indemnité et le devoir de l’État de la lui fournir, ne tient pas contre le bon sens vulgaire.

Le clergé, séculier et régulier, possédait en 1789 une fortune