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devant laquelle on est contraint de reculer. Entre l’obligation de rester dans les limites d’un budget déterminé et l’envie de faire mieux pour satisfaire des exigences parfois légitimes, on reste bien souvent frappé d’impuissance. C’est pourquoi on est réduit à adopter une règle uniforme, formulée par l’expérience et dont, sous peine de déficit, on ne peut se départir. Ce qui est permis à un particulier, responsable seulement vis-à-vis de lui-même, est interdit à une administration responsable des deniers qui lui ont été confiés et qui ne lui appartiennent pas. Les pensionnaires feront donc bien de prendre patience et d’attendre avec résignation que les blanchissages aient affaibli la rudesse du linge réglementaire.

Les dégagemens sont nombreux, bien conçus, et semblent disposés pour faciliter la fuite et le sauvetage, en cas d’incendie ; les escaliers sont amples, éclairés par de larges baies ; les degrés n’ont rien de pénible à gravir ; je ne leur reprocherai que d’être trop cirés, trop glissans, comme l’on dit, pour des pieds qui n’ont plus la sûreté de la jeunesse. Depuis que je visite les maisons hospitalières, c’est la première fois que j’aperçois un ascenseur, qui est réservé à l’usage des malades, des débiles et des impotens. Un long corridor prenant directement jour sur le chemin de ronde dessert toutes les chambres et ménage à chacune d’elles une sortie particulière ; de cette façon les pensionnaires sont isolés et peuvent se retirer chez eux, libres et sans contact aux heures de tristesse, de malaise, de souvenir ou de repos. A l’extrémité de chacun des couloirs, un des servans de l’Assistance publique a sa chambre où il passe la nuit et où aboutissent les sonneries placées près de chaque lit ; le garçon est lui-même en correspondance électrique avec la communauté, à laquelle il communique immédiatement le numéro de la chambre d’où l’appel est parti ; de la sorte, en cas de maladie subite, le secours est pour ainsi dire instantané. Une sorte d’armoire, dont la porte n’est jamais fermée, contient un filtre Pasteur fournissant une eau purgée de tout élément nuisible qui reste à la disposition des pensionnaires. En face de chaque porte un coffre solide est adhérent à la muraille et ressemble assez exactement au meuble qu’au collège nous appelions une baraque ; c’est là que l’on dépose les bûches qu’achètent les pensionnaires ou que l’administration leur accorde dans une proportion déterminée.

Deux fois j’ai visité la maison, vers le milieu de la journée, et j’ai été frappé du calme profond qui y règne ; s’il y a quelque animation dans la partie consacrée aux services généraux, il n’on est plus ainsi dès que l’on pénètre dans les corps de logis réservés aux pensionnaires. On dirait l’hôtellerie de la Belle au Bois dormant ; les couloirs sont déserts, nul bruit n’en trouble le silence ; si