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obligées, par la force des choses, soit de s’embrasser, ce qui serait le mieux, soit de s’arranger pour vivre côte à côte, tirer également profit des expériences faites, tant à leurs dépens qu’aux dépens du public !

Au point de vue de l’art, le seul qui nous préoccupe, la scission n’a pas d’ailleurs grosse importance. Ce n’est point une école dressée vis-à-vis d’une école, un drapeau déployé vis-à-vis d’un drapeau. Des deux côtés même indiscipline, même confusion, même désarroi ; partout le même pêle-mêle de tendances, de pratiques, de théories, aussi bien dans un camp que dans l’autre. De ce que quelques-uns des modernistes les plus en vue se sont transportés au Champ de Mars, il ne s’ensuit pas qu’ils y aient emmené avec eux tous les jeunes artistes qui se livrent à une observation attentive du monde contemporain et que préoccupent, avec juste raison, les problèmes compliqués de la lumière, si chers à tous les peintres, depuis qu’il y a des peintres au monde. De ce que la plupart des membres de l’Institut, des professeurs, des chefs d’ateliers sont demeurés aux Champs-Elysées, il n’en résulte pas non plus qu’ils n’y soient entourés que d’élèves soumis et de caudataires serviles, ni qu’on ne puisse trouver autre part des enseignemens différens et plus libres, toujours fondés d’ailleurs sur l’étude combinée de la nature et de la tradition. Entre les naïvetés préraphaélites de M. Puvis de Chavannes et les ironies parisiennes de M. Béraud, entre le naturalisme primesautier de M. Carolus Duran et la subtilité décadente de M. Besnard, entre l’élégance claire de M. Galland qui rêve à Primatice et la vigueur noire de M. Bibot qui sort de Bibera, est-il vraiment possible de trouver un autre trait commun que celui du talent, ce qui est après tout le meilleur de tous ? Et n’est-ce pas un légitime sujet d’étonnement que, là, par suite des circonstances, ce soit précisément le doyen de l’école traditionnelle, le plus justement admiré et respecté de nos maîtres, le dessinateur rigoureux, inflexible, infaillible, le compositeur patient, réfléchi, érudit, M. Meissonier en un mot, qui chevauche à la tête de cette compagnie si mêlée de grands artistes et de rapins, de novateurs et de traînards, de virtuoses et d’ignorans, d’aristocrates et de gavroches ? Tel un maréchal illustre de l’armée régulière, dans les grands périls, mène au feu une troupe improvisée de volontaires et de francs-tireurs, jusque-là débandés, que l’autorité vénérable de sa gloire suffit à discipliner pour quelques heures. D’autre part, aux Champs-Elysées, quelle parenté saisir entre M. Bouguereau et M. Bonnat, entre M. Henner et M. Jules Lefebvre, entre M. Jean-Paul Laurens et M. Chaplin, entre M. Jules Breton et M. Fantin-Latour, entre M. Gérôme et M. Vollon, etc. ? Et si, autour de ces maîtres, s’agitent, en grand