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leurs resplendissemens d’or accentués, par des taches d’ombre nous donnent une sensation équivalente à celle qu’on recevait, l’an dernier, de ses Blés noirs. C’est juste, honnête et franc. On voudrait que M. Quignon communiquât un peu de sa belle chaleur à M. Jan-Monchablon. La puissance d’observation est, chez ce dernier, sans doute, plus variée, extraordinaire et surprenante par la ténuité et par l’opiniâtreté de l’analyse. Les Vernes et la Petite Rivière sont étudiés à fond dans le détail le plus infime de toutes les brindilles, herbettes et cailloutis, avec une patience extrême ; mais pendant ce dur travail le peintre a laissé tout refroidir, et son enthousiasme qui s’épuise à cette dissection acharnée, et le ciel lui-même dont la lumière s’efface sans qu’il s’en aperçoive, tant son esprit est attentif aux minuties du sol. Ces ouvrages au petit point restent donc ternes et glacés, malgré ou à cause de tant d’efforts, et c’est grand dommage, car l’auteur y accumule une grosse somme d’études, de sincérité, de talent.

Trouver le point juste où la science devient de l’invention, où la multitude des observations se transforme en un mouvement d’imagination, où l’œuvre satisfait à. la fois les yeux, du premier coup, par sa disposition et son harmonie, l’esprit par sa signification expressive et sa solidité technique, c’est à quoi visent tous les artistes sincères, c’est à quoi n’atteignent que les artistes supérieurs et complets. S’il fallait, aux Champs-Elysées, désigner les paysages qui s’en approchent, nous n’hésiterions pas à nommer d’abord ceux de M. Harpignies. Son Crépuscule, souvenir de l’Allier, nous donne tout à fait la sensation d’un site vraisemblable et vrai, d’abord vu et bien vu par un œil expérimenté, celle aussi d’un site longuement rêvé par une imagination émue, par une mémoire attendrie, peu à peu simplifié, agrandi, dégagé, dans cette gestation intime, de toutes ses minuties inexpressives et de toutes ses banalités insignifiantes. Un peu en-deçà, un peu au-delà, et l’œuvre ne serait plus ou qu’une étude, ou qu’une fantaisie. La petite toile souriante et lumineuse qui accompagne le Crépuscule, une Prairie, effet de soleil, étude moins transformée, montre avec quelle vivacité M. Harpignies reçoit une impression devant la nature, avec quelle science nette et profonde de la structure des choses, terrains, arbres, nuages, il note immédiatement, dans un style ferme et clair, cette impression fugitive. Mais qu’il faut de travail pour arriver, dans sa maturité, à cette possession de soi-même, et combien de jeunes écervelés, dans l’école dite luminariste, semblent peu se douter des difficultés qu’ont rencontrées ces sincères observateurs, nos paysagistes de 1830, avant de bien connaître les lois innombrables et subtiles auxquelles obéit la lumière soit en