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III

Les paysages, avec les scènes de la vie contemporaine, occupent, comme toujours, aux Champs-Élysées, la plus grande partie des murailles ; on n’a pas à s’en plaindre. Les paysagistes, heureusement, ne se laissent pas troubler, autant qu’on l’aurait pu craindre, par les excitations environnantes, au laisser-aller et à la fanfaronnade. Ils continuent à étudier les champs avec bonhomie et scrupule ; et, n’était la manie à laquelle s’abandonnent encore quelques-uns de délayer une bonne impression dans des cadres disproportionnés, on pourrait louer chez eux, en général, des tendances excellentes à la précision. Les Provençaux, notamment, se signalent par des analyses tout à fait curieuses de leur terre ensoleillée ; depuis que MM. Meissonier, Vollon, Moutte, leur ont donné le branle, ils forment un groupe actif dont les progrès sont intéressans à suivre. Si Marseille n’est pas connue au loin, ce ne sera pas la faute de ses enfans, car nous avons l’Entrée des nouveaux ports à Marseille, par M. Casile ; Marseille, par M. Etienne Martin ; le Vieux Port de Marseille, par. M. Allègre, et toutes ces Marseilles sont très bien vues. M. Paulin Bertrand, qu’on avait déjà remarqué l’an dernier, se signale en particulier pour la fermeté avec laquelle il sait asseoir ses terrains, planter ses arbres, détailler ses verdures devant la nappe bleue de la Méditerranée, soit à Carqueiranne, soit à Pradon, aux Environs d’Hyères. Il faut beaucoup de finesse dans l’œil et de délicatesse dans le pinceau pour dégager l’harmonie lumineuse propre à ces paysages pierreux et secs dont les détails, âpres et durs, blessent facilement le regard. Presque toute cette nouvelle école de Provençaux y parvient sans sacrifier l’exactitude et sans exagérer conventionnellement, comme on l’a fait presque toujours, l’action dévorante du soleil sur les surfaces. Nous verrons, au Champ de Mars, comment quelques-uns poussent à l’excès cette désagrégation des choses par la lumière et arrivent à nous faire douter, par l’exaltation monotone d’un resplendissement confus, de l’exactitude de leur vision.

Un homme qui nous semble avoir de bons yeux et pour lequel le soleil, si éblouissant qu’il soit, n’anéantit point la solidité des choses, c’est M. Quignon. Ses toiles sont traitées assez sommairement, presque en décor, mais d’une touche ferme, grasse, libre, avec un amour grave et ardent du soleil qui réjouit les yeux et le cœur. Jusqu’à présent sa note n’est pas variée, mais elle est personnelle et vive ; dans sa Moisson, ses rangées régulières de meulons, espaçant, sur une terre en pente, sous une lumière accablante,