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pauvres. Les riches, aux yeux du iahvéiste conséquent, sont un pur inconvénient. Le perpétuel objectif de la politique iahvéiste est de protéger le faible contre le fort et de réduire presque à rien les avantages du riche sur le pauvre. Le roi est le roi des pauvres. L’intérêt de l’argent est comme un crime. Le riche est, en général, présenté comme un être violent, uniquement occupé à dépouiller le faible. Dans la pensée des piétistes israélites, l’origine de la fortune est toujours mauvaise. Ils sont de l’avis de saint Jérôme : Omnis dives iniquus aut hœres iniqui. C’est l’idée générale de l’Orient. Le pauvre y est, a priori, considéré comme bon, le riche comme méchant. Un jour que je faisais à mon drogman l’éloge des gens d’un village que nous venions de traverser : « C’est tout simple, me dit-il, ils sont pauvres. »

Le pauvre est l’ami de Iahvé. Il s’établit à cet égard des synonymies singulières. Le mot anav, « doux, » et le mot ani, « pauvre affligé, » dérivant tous deux d’une racine qui marque l’humilité, en vinrent à s’employer l’un pour l’autre. « Pauvre, affligé, malheureux, opprimé, doux, résigné, pieux, humble » ne se distinguèrent plus. Les mots qui signifient proprement « pauvre » (dal, ébion) devinrent équivalens de saintes gens, d’amis de Dieu. Les expressions « les pauvres de Dieu ou pauvres de Iahvé, les humbles du pays, les chétifs de la terre, les doux du peuple, » furent les noms dont se désignèrent les iahvéistes purs. Tout cela se fit dans un sentiment fort analogue à celui qui créa au moyen âge les noms de mineurs, minimes, pauvres de Dieu, humiliés, etc. Le sentiment de tristesse résignée qui remplit le cœur du pauvre confine par quelques côtés à la piété, et l’humilité des sentimens prédispose à un certain état de dévotion. En revanche, les mots hébreux signifiant « riche, grand, fort » (asir, gadol, aris) se prennent presque toujours en mauvaise part.

A partir du règne d’Ézéchias, ces associations d’idées sont fixées d’une manière irrévocable. Le vrai serviteur de Iahvé est un pauvre, persécuté par les riches, vexé par les gens du monde. Iahvé l’aime, parce qu’il est humble, parce qu’il ne fait pas ombrage à sa grandeur. Iahvé est son protecteur, son justicier ; il finira par lui donner la victoire. Les ennemis de Iahvé sont les ennemis des pauvres ; les ennemis des pauvres sont ceux de Iahvé. On sent qu’un tel esprit devait facilement dégénérer en hypocrisie sournoise, en humilité factice, surtout dans un état de croyances qui n’admettait pas que l’homme juste ajournât à un autre monde ses revanches et ses compensations. Un sérieux terrible crispait tous ces fronts. Les railleurs (lécim) surtout sont toujours présentés comme des impies. Le léç, c’est l’homme frivole, hardi,