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rieur ; c’est le voltairien du temps, l’homme du monde, qui se moque des frocards. Ces lécim faisaient bande à part, s’asseyaient sur un banc à eux ; c’était ce qu’on appelait « le banc des railleurs. » Il partait de ce banc plus d’une plaisanterie contre les saintes gens ; ceux-ci, de leur côté, ne regardaient qu’avec haine ce groupe de pestiférés.

Une démocratie théocratique, une religion résidant presque toute dans les questions sociales, voilà le judaïsme du VIIIe siècle, le vrai judaïsme, dont le christianisme n’a été que l’épanouissement et l’application. Les anavim ou hasidim forment une élite de l’humanité ; ce sont « les doux de la terre ; » ce sont surtout « les justes, les droituriers, la génération juste, les fidèles du pays, les gens tranquilles, les cœurs droits, les sectateurs de la voie parfaite, les hommes qui craignent Dieu, qui l’aiment, qui ont confiance en lui, ceux qui cherchent Iahvé. » C’est ici le point où il faut se placer pour le départ des lignes qui, d’abord parallèles, divergeront ensuite à l’infini. Constitués en une sorte de fraternité ou de société pieuse, les anavim ne veulent avoir de relations qu’entre eux, pour ne pas se souiller. Quand on appliqua à ces sortes de piétistes le nom de pharisiens, vers l’époque asmonéenne, il n’y eut en réalité d’innovation que pour les mots. Les anavim nous font entrevoir à l’horizon les pharisiens de l’Évangile. D’un autre côté, quel avenir à cet ébion, frère de l’anav et du hasid, qui sera le premier chrétien (ébionites) et dont le nom constituera la première béatitude : « Heureux les ébionim ! » Ce qu’on ne saurait dire, c’est à quel point tout le christianisme naissant est dans Isaïe, dans ses contemporains, dans ce qui s’agita d’original, à ce moment tout à fait solennel, en la conscience d’Israël.

Une chose est dès à présent évidente. Israël ne fondera ni une république, ni une royauté, ni un État civil, ni une polis. Israël fondera la synagogue, l’Église, la coterie pieuse, le pharisaïsme et le christianisme. Le piétisme, au fond, tue le citoyen. Ce n’est plus Israël dans son ensemble qui est le peuple de Iahvé ; ce sont les anavim, les hasidim seuls qui sont le troupeau de Iahvé. Israël n’est plus qu’une élite de saints ; les profanes sont le terreau qui sert à produire les plantes élues, la vigne qui sert à produire le vin. Tout cela ressemble beaucoup à l’islam. Ces hasidim sont des musulmans qui ont dévolu leurs affaires entre les mains de Dieu. Dieu est leur vékil ; et quel vékil ! Sûrement il les vengera. Avec de tels raisonnemens, on donne au monde de grandes disciplines morales ; mais on supprime la patrie.

L’État et même la polis (on peut dire surtout la polis) supposent des classes, des privilèges héréditaires, des injustices, des