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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 juin.

S’il ne fallait que des discours et des consultations pour guérir les plaies de l’humanité, pour remettre la paix morale parmi les peuples, pour éclairer et dénouer tous ces problèmes du travail qui obsèdent les sociétés contemporaines, oh ! certes, ce serait déjà fait, rien ne manquerait.

De toutes parts, dans presque tous les pays, ce ne sont que discours, démonstrations et programmes. Depuis le jeune empereur d’Allemagne jusqu’au vieux pontife du Vatican, depuis les ministres et les députés jusqu’aux réformateurs des clubs et des syndicats, depuis le catholique jusqu’au socialiste, tout le monde est à l’œuvre ; tout le monde parle et pérore. Malheureusement, s’il n’est pas vrai, comme l’a dit un maître fourbe, que la parole ait été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée, elle ne lui a pas été donnée non plus pour être toujours infaillible, et si la parole peut répandre le bien et la paix, elle peut aussi faire beaucoup de mal. Elle sert souvent à tout obscurcir, à tout exagérer, à tout dénaturer, — et voilà ce qui arrive ! On soulève dans les discours plus de questions qu’on n’en peut résoudre, on encourage des espérances chimériques par des flatteries qu’on croit habiles ou par des promesses qu’on ne pourra tenir. On parle sans façon, par une tactique d’éloquence, du « quatrième état, » et on fait même des lois pour donner une sorte d’authenticité à ce « quatrième état » d’imagination. On craindrait de n’être pas de son temps, de paraître rétrograde en refusant de se prêter aux expériences les plus risquées, en résistant à des revendications qui ne sont pas toujours fondées. On est naïvement révolutionnaire pour la circonstance, sans regarder aux résultats de tout ce qu’on dit ou de tout ce qu’on vote. On s’accoutume, en un mot, à vivre dans une atmosphère d’excitations et d’illusions où tout finit par être confondu. Puis un jour on se réveille en face d’une réalité importune, avec des passions irritées et un gouvernement qu’on s’étudie à désarmer, qui se désarme quelquefois lui-