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……. Il n’est rien
Qui ne nous soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.


Mais dans ses caprices mêmes, notre imagination se règle sur des principes de convenance et de disconvenance. Ses méthodes ressemblent à des aventures, ses découvertes sont des trouvailles, ses inventions sont souvent fortuites, elles ne sont jamais arbitraires. Les images qu’elle associe, qu’elle combine et qui semblent lui venir spontanément s’appellent les unes les autres par une sorte de nécessité qui nous échappe, comme le son fondamental appelle ses harmoniques. « Le génie, disait Balzac, a pour mission de chercher à travers les hasards du vrai ce qui doit sembler probable à tout le monde. » Notre imagination naturelle n’est pas tenue d’avoir du génie, mais la vraisemblance est sa loi. Le plaisir esthétique, avons-nous dit, s’adresse à l’homme tout entier ; il faut que notre raison y soit partie prenante, et notre raison réprouve et condamne les similitudes forcées, les rapprochemens absurdes ou incongrus, les contrastes cherchés, les fausses couleurs, les images qui dénaturent les objets, en obscurcissent ou en déforment le caractère, simulacres trompeurs, pareils à ces larves grimaçantes que le délire évoque aux regards d’un fiévreux et qui ne sont qu’une traduction grossière ou le travestissement des réalités. Quand nous prêtons aux choses une figure et un langage humains, c’est une grande liberté que nous prenons ; mais il faut que cette figure d’emprunt nous rende leur vraie physionomie, que ce langage leur serve à nous répéter ce qu’elles disent tout bas dans une langue que nous ne parlons point. Le hautbois ne dira jamais ce que disent la flûte et le violon, et tout mêler, c’est tout perdre. L’imagination, pour peu qu’elle sache son métier, met de l’ordre dans son désordre, de la raison dans son apparente folie et s’il lui arrive de nous amuser par des contes de fées, elle s’applique à donner au merveilleux le plus invraisemblable un air de probabilité et de sagesse.

Dans tout ce qu’elle fait, la fortune et l’industrie collaborent, et lorsqu’elle a du talent, elle tire parti des accidens mêmes qui la contrarient, comme le poète trouve des inspirations dans les difficultés et la gêne de la rime. Un travail auquel le hasard préside et qui ne laisse pas d’avoir des règles est ce qu’on appelle un jeu, et voilà justement le caractère distinctif de l’imagination : elle est la seule de nos facultés qui travaille en jouant ou qui se joue en travaillant. Si nous n’avions que des appétits, des sentimens, des passions, des devoirs, des idées, nous garderions à jamais notre sérieux, qu’elle se plaît souvent à démonter. On raconte