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paniques. « — Il est défendu, berger, de jouer de la flûte à midi. Nous craignons Pan, quand il se repose des fatigues de la chasse. C’est un dieu irascible, et le fiel amer est toujours près de sa narine. » Quoique Pan et ses colères ne nous fassent plus peur, le profond repos des bois à midi nous étonne, nous intimide, comme une image de certains grands silences de l’âme, aussi sacrés que le sommeil d’un dieu, et bien que nous ne croyions plus aux ondines et aux sylphes, il nous semble par momens que les choses ont comme nous leurs souvenirs, leurs espérances et leurs félicités, que comme nous elles souffrent, gémissent, se lamentent et s’indignent.

S’il est vrai que tout parle dans l’univers, rien n’est plus parlant que le visage de l’homme, et parmi tous les chapitres du grand livre, c’est celui que l’imagination affective lit et relit avec le plus d’agrément. Elle est moins sensible à la beauté des figures qu’au jeu des physionomies. « J’ai perdu l’appétit, disait un imaginatif ; je ne dîne plus en ville que pour me donner le plaisir de déchiffrer des visages, et ceux qui me plaisent le plus sont ceux qui mentent le mieux. » L’infinie diversité des grimaces, les fausses gravités, les fausses tristesses, les gaîtés forcées, le naturel étudié, les modesties d’emprunt, les empressemens trompeurs, les douceurs feintes, les caresses hypocrites et le velouté artificiel du regard, le mensonge des sourires confits, le déguisement des jalousies, les indifférences simulées, il aimait à débrouiller tous ces cas obscurs, à découvrir les dessous de la politique des cœurs, et il rapportait chez lui une collection d’images qui le consolaient de ses mélancolies d’estomac.

« N’êtes-vous point las d’un monde où tout s’agite et où tout se méprend ? » s’écriait un éloquent prédicateur. Notre imagination affective n’en est jamais lasse. Ce monde fallacieux, mais très mouvementé, s’offre à elle comme un grand théâtre, où se joue une pièce à cent actes divers. Qu’est-ce que la vie humaine ? le perpétuel conflit du désir et du destin, un éternel jeu de passions qu’une puissance souveraine et fantasque encourage tour à tour, favorise, traverse ou condamne. Des projets qui n’aboutissent point, des inquiétudes et des espérances également vaines, des mesures savamment concertées qu’un incident déconcerte, de faux sages qui le plus souvent ne savent pas ce qu’ils font, qui tantôt travaillent à leur ruine en travaillant à leur fortune, récoltent des chagrins où ils cherchaient des plaisirs, leur humiliation où ils pensaient trouver leur gloire, tantôt se sauvent miraculeusement par ce qui devait les perdre, vraiment ce spectacle n’est jamais ennuyeux. De fâcheuses ou d’heureuses méprises, voilà le nœud de l’intrigue, et quoique la pièce soit toujours la même, elle est toujours variée.