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colère du ciel. Dans le désordre d’une mer démontée et blanche d’écume, elle reconnaît les violences d’une âme qui ne se commande plus. Les fleurs la séduisent par ce qu’il y a d’expressif dans leurs couleurs comme dans leurs attitudes ; elle leur suppose des joies, des tristesses, des modesties, des fiertés. Les animaux la charment par leur candeur ; elle lit dans leurs yeux des pensées toutes pareilles à celles qui hantent notre cerveau, mais plus naïves, plus ingénues. Ils lui peignent l’homme primitif avant qu’il eût inventé les bienséances et les feintes ; on croit honorer les souverains en les traitant de majestés, elle croit rendre justice aux bêtes en leur disant : « Votre humanité m’amuse infiniment. »

L’imagination affective, qui est essentiellement anthropomorphite, a joué un grand rôle dans l’histoire des religions ; elle est le principe même de la mythologie. L’homme, quoi qu’on en dise, n’a jamais adoré le soleil, la lune, la terre, la pluie et le beau temps ; si ses divinités n’avaient pas été des âmes, à quoi bon leur rendre un culte ? La prière et les sacrifices servent à agir sur des volontés terribles, mais muables, à conjurer des colères qu’apaisent les flatteries et les offrandes. L’homme a toujours tenu ses dieux pour des puissances surnaturelles, mais semblables à lui, et auxquelles la nature fournissait un corps. Suivant l’idée qu’il se faisait de lui-même, ils lui apparaissaient tantôt comme le leu qui dévore ou la flamme qui purifie, et il les appelait Baal, Jahveh, Apollon, tantôt comme l’eau qui féconde, et il voyait sortir du fond des marais Astarté ou Aphrodite, mère des voluptés. Il changeait sans cesse, et ses dieux changeaient avec lui ; leurs métamorphoses répondaient aux siennes. À mesure qu’il se civilisait, il sentait davantage le besoin de les civiliser aussi, il apprivoisait leur humeur farouche et leurs goûts cruels, et quand la terre tremblait ou qu’un ouragan fracassait les arbres et brisait les rochers, il disait comme Élie dans la caverne de l’Horeb : « Mon Dieu n’était pas là ; il est dans les sons doux et subtils qui caressent l’oreille. »

De même qu’ils ont toujours façonné le divin à leur image, les peuples, quelles que fussent leurs croyances et leurs mœurs, ont toujours humanisé la nature. Le moyen âge croyait aux esprits élémentaires, aux gnomes, aux pygmées, aux nixes ou aux ondines, qui ne sont que des femmes aquatiques qu’on entend rire dans les ruisseaux, aux sylphes, race aérienne, qui ne sont que des âmes pourvues d’ailes. L’Hindou s’était reconnu dans la bête et dans la plante. La plainte des alcyons, le gazouillement de l’hirondelle, le cri aigu de l’épervier racontaient aux Grecs des destinées tragiques. Les silences mêmes de la nature parlaient à leur imagination : c’étaient les siestes de Pan, qui n’aime pas qu’on le réveille et se venge des indiscrets en les frappant de terreurs