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Radziwill ; — dans l’autre monde, cette belle princesse nous allumera notre poêle. » — Et maints juifs comptaient ne pas attendre l’autre monde. Ils espéraient bien entendre, sur cette terre, les trompettes des anges sonner l’heure du triomphe. Les prophètes le leur avaient promis et Jéhovah le leur devait. Le Messie ne doit-il pas venir un jour tout remettre à sa place : Israël en haut, les goïm en bas, sous ses pieds ? Le Messie vengeur, les juiveries l’attendaient, de générations en générations, demandant à l’astrologie, ou à la Cabale, l’année de sa venue, accueillant ingénument tous les faux Messies, jusqu’au temps de Descartes et de Voltaire, sans que jamais se lassât l’espérance d’Israël.

Par là s’explique comment le juif a pu rester, des siècles, plié sous le mépris sans en être accablé. Chez lui, le ressort intérieur n’a pas été brisé ; il s’est toujours conservé intact, prompt à se débander au jour de la délivrance. Si courbé qu’il fût, le juif était prêt à tous les relèvemens. Il les attendait et les escomptait d’avance, demandant à Jéhovah quand sa colère cesserait de se déverser sur son peuple, sans douter jamais de la libération finale, patient, lui aussi, parce qu’éternel. De là, chez le juif, dès qu’il n’est plus écrasé sous un poids trop lourd, cette merveilleuse faculté de rebondissement qui, après toutes les chutes, le reporte toujours en haut. De là, parfois aussi, chez lui, ces soudaines éruptions de l’orgueil longtemps comprimé et comme rentré, ou même, une susceptibilité qui choque d’autant plus qu’elle est moins attendue : voulant être fier, il devient insolent.

C’est ici surtout, si nous nous piquons de justice, qu’il nous est malaisé de ne pas faire un retour sur nous-mêmes. Cette bassesse, cette platitude d’âme et de caractère que, aujourd’hui encore, nous nous croyons en droit de reprocher au juif, elle est à nous, autant qu’à lui. C’est notre œuvre. Nous la lui avons inculquée et enseignée de père en fils. Nous nous sommes ingéniés à l’avilir ; nous y avons travaillé sciemment et savamment. Nous lui avons, pour cela, inventé des costumes déshonorans, des marques d’ignominie, des cérémonies dégradantes. Le juif, au goût du chrétien, ne semblait jamais assez vil. Nos ancêtres l’ont formé à la bassesse, comme ils dressaient des chiens couchans ou des bassets à ramper dans les terriers. Ici encore, le sang sémitique et la loi hébraïque n’ont rien à voir. Il n’y a qu’un fait d’hérédité et d’adaptation au milieu. Là où il a été relativement libre, où il a eu le droit de lever le front, le juif, à cet égard comme à bien d’autres, se rapprochait du chrétien. Ainsi, autrefois des juifs d’Espagne ; ainsi même des Séphardim accueillis en Occident. S’ils ont plus souffert que les Askenezim de l’Est, ils ont été courbés moins bas. Le sentiment de