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l’honneur n’a pas toujours été, pour eux, un château-fort aux murailles à pic, dont le pont-levis ne laissait jamais passer le juif. Ils ont parfois été admis à porter les armes, ils ont souvent fréquenté les chevaliers arabes et les hidalgos chrétiens. Après quatre siècles d’expulsion, on retrouve parfois, chez eux, comme un reflet de la fierté castillane ou de la dignité orientale.

Quant aux juifs d’Asie, d’Afrique, de Turquie, de Hongrie, de Russie, assujettis à un régime de mépris, plus fatal peut-être à l’âme que les quemaderos de l’Inquisition, comment, et depuis combien de temps, auraient-ils pu se laver de la boue d’abjection où leurs maîtres chrétiens et musulmans les ont forcés de croupir ? Ils ressemblaient, ces misérables juifs, à ces animaux craintifs qui, pour ne pas attirer l’attention de leurs ennemis, se collent à la terre et s’aplatissent contre le sol. Puis, autre chose qu’il ne faut pas oublier, ils ont subi la dégradation de la pauvreté héréditaire, de l’indigence sordide qui, sous un ciel inclément, avilit à la fois l’âme et le corps. Les lois mêmes de l’Europe chrétienne étaient calculées pour les y maintenir et les y refouler. Encore aujourd’hui, en Russie, en Roumanie, ces lois hostiles, récemment renouvelées ou aggravées, pèsent sur plus des deux tiers des juifs européens. Ils ne peuvent guère vivre qu’à force de ruse, par contrebande, pour ainsi dire, en passant frauduleusement à travers les mailles de la loi qui les tient dans son filet. Entre eux et les chrétiens, la partie n’est pas égale ; la loi les contraint à tricher. Il y a là une sorte de cercle vicieux dont les gouvernemens n’ont pas encore eu l’art, ou le courage de sortir. Le législateur prétend protéger les chrétiens contre les artifices du juif, et tous les règlemens édictés contre ce dernier ne font que l’induire à la tromperie et à la duplicité. Dans les pays mêmes où ils sont émancipés, en Allemagne, en Autriche, en Italie, les juifs n’ont de liberté et de sécurité que depuis une ou deux générations ; nulle part, sauf en France et en Hollande, depuis plus de cent ans. Les juifs sont des affranchis, fils d’esclaves ; c’est d’hier, seulement, qu’ils ont échangé le bonnet de juif pour le bonnet de la liberté. Ils sont tous des liberti, ou des libertini, dont la liberté récente reste souvent précaire. Or, de quelque race qu’il sorte, dans nos démocraties modernes, comme dans la Rome antique, il faut, à l’affranchi, plus d’une génération pour prendre les mœurs, les pensées, le cœur de l’homme libre.

Songez à l’éducation que vingt siècles ont donnée aux juifs, à celle que reçoivent, encore de nos jours, les trois quarts d’entre eux. Qu’est-ce que l’enfant apprenait de son père ? et, ce qui importe plus encore que les conseils ou les exemples de la famille, quels enseignemens lui donnaient le monde et la vie ? Étaient-ce des