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et cette longue protestation de l’idiome national, saisira mieux tout ce qu’il y eut d’artificiel dans la brillante civilisation gréco-romaine. Enfin, le linguiste peut trouver quelque avantage à suivre dans les accidens de son histoire, dans ses reculs et sa marche en avant, une langue qui resta toujours étrangère à toute culture intellectuelle, qui longtemps se défendit dans les carrefours, qui finit par envahir jusqu’à la littérature et par étouffer l’idiome savant. Voilà comment cette étude, si spéciale en apparence, si minutieuse et si modeste en ses procédés, se trouve intéresser quiconque s’occupe ou de linguistique, ou de littérature ancienne, ou d’histoire romaine, ou de langues romanes.

C’est vers le milieu de ce siècle, qu’on a deviné l’existence du latin vulgaire. L’honneur en revient à Fauriel, à Ampère en France, à Rilschl et Diez en Allemagne. Mais l’enquête méthodique n’a commencé qu’avec les ouvrages classiques de Schuchardt sur le Vocalisme du latin vulgaire, et de Dräger sur la Syntaxe historique de la langue latine. D’année en année, ont surgi d’innombrables monographies, de valeur fort inégale, mais presque toutes utiles. Parmi les récentes publications allemandes, il est juste de mentionner hors rang : de Koffmane, l’Histoire du latin d’église ; de Sittl, le travail sur le latin d’Afrique ; de Rönsch, les études sur le latin ecclésiastique et le vocabulaire ; enfin, de Meyer-Lübke, la Grammaire des langues romanes. Ajoutons que l’on trouve un véritable trésor d’informations dans le Recueil des inscriptions latines de l’académie de Berlin, dans les Monumens historiques de Germanie, et dans les éditions d’écrivains ecclésiastiques que publie l’académie de Vienne. De même, en France, ont paru des études fort intéressantes : de M. Édon, sur le Latin savant et le latin populaire ; de M. Gölzer, sur la Latinité de saint Jérôme ; de M. Régnier, sur la Langue des sermons de saint Augustin. Enfin, M. Boissier, avec son bonheur ordinaire, a touché ces questions dans des articles sur Sedulius, Commodien et saint Jérôme. À toutes ces études des ‘savans français et étrangers, nous renvoyons les lecteurs curieux du détail des faits. Ce que nous voulons tenter ici, c’est de dessiner à grands traits la physionomie et l’histoire du latin vulgaire.


Comparez un discours de Cicéron à un texte de l’époque mérovingienne, par exemple, à un chapitre de Grégoire de Tours : vous observerez dans l’allure de la langue un contraste absolu. Chez Cicéron, s’accusent tous les procédés du style synthétique ; le mouvement de la pensée est marqué par des distinctions subtiles dans la déclinaison et la conjugaison ; peu ou point de mots abstraits, rien que des termes choisis d’après toutes les règles du bon