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la côte, du Guadaleté dans le San-Pedro. On aurait voulu l’amener dans le Santi-Petri, pour en favoriser le passage, mais il aurait fallu lui faire doubler la presqu’île, qui porte le fort Matagorda pour atteindre le grand canal de Puerto-Real. Ce trajet, de plus d’une lieue sur la grande rade, en présence de l’immense flotte anglo-espagnole, paraissant trop dangereux, la flottille lut enlevée du San-Pedro et mise à terre, bateau par bateau. On les plaçait sur des glissoires et des semelles, portant sur des rouleaux, puis à force de bras, on les faisait traverser la presqu’île jusqu’au moulin de Guera, où ils étaient remis à flot. De là, ces bateaux furent conduits, par le grand canal, au Trocadero, où ils furent mouillés et embossés. Ils servirent, en attendant mieux, à la défense de ce poste.


Défense du Trocadero.

Mon bataillon était de garde au Trocadero le 25 décembre. Je fus réveillé au point du jour par une canonnade extraordinaire. Craignant qu’elle ne fût le prélude d’une attaque, je me levai aussitôt.

Au moment où je venais de quitter le pliant sur lequel je couchais, un boulet de 36, après avoir percé la maison, le coupa en deux, juste à la place que mon corps occupait. Si j’avais différé de me lever de quelques secondes seulement, j’avais vécu !

Le feu ayant cessé, je remarquai beaucoup de mouvemens entre la côte ennemie et la flotte. Toute la flottille anglo-espagnole était en ligne, en face du Trocadero et semblait préparer l’attaque. Je craignais qu’à ce moment l’ennemi ne cherchât à nous tourner, en profitant d’un large canal perpendiculaire à celui de Puerto-Real, que je croyais praticable, même pour de grosses embarcations, quand la marée était haute.

Je voulus aller reconnaître cette passe. Je montai dans un petit canot avec quatre officiers qui tenaient les avirons, je gouvernais. Nous prîmes ce canal, traversâmes l’île Saint-Louis et débouchâmes dans la grande rade intérieure de Cadix. Mous côtoyions l’île pour aller reconnaître les passes jusqu’au moulin de Guera ; mais nous y arrivions à peine, quand nous vîmes toute la flottille ennemie s’avancer ensemble, sur une seule ligne, vers nos postes. C’était l’attaque ! Nous reprîmes au plus vite le chemin du Trocadero. Pour atteindre l’entrée du canal qui nous avait amenés, nous dûmes défiler sous le feu, à petite portée, des canonnières. Nous ramions ferme et allions très vite. Nous essuyâmes une grêle de boulets qui ne nous fit d’autre mal que de nous couvrir d’eau.