Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péril. Pour les autres opinions de cet auteur, qui sont tout à fait indifférentes, comme celles de la physique particulière, et les autres de cette nature, je m’en amuse, je m’en divertis dans la conversation, mais, à ne vous rien dissimuler, je croirais un peu au-dessous du caractère d’évêque de prendre parti sérieusement sur de telles choses.

Voilà, Monseigneur, en peu de mots, ce que je crois sur Descartes. Je vous le dis sans avoir rien sur le cœur qui diminue la cordialité et le respect avec lequel je suis, etc.


A Paris, 18 mai 1689.


Voilà, je pense, une étrange façon de reprocher à Huet son « apostasie cartésienne ; » mais voilà, sur Descartes et sur le cartésianisme, le fond de la pensée de Bossuet. Une part de la doctrine lui est indifférente : c’est, par exemple, la théorie de l’arc-en-ciel, ou le Traité de la formation du fœtus ; et je ne veux point rechercher ici s’il a tort ou raison dans son indifférence. Je dis seulement que ni la religion, ni la politique, ni la morale ne lui paraissant dépendre du nombre des couleurs du spectre ou des phénomènes de la segmentation de l’œuf des mammifères, ce sont choses, pour lui comme pour l’auteur des Pensées, dont il ne faut pas négliger de s’informer en passant, mais qui ne valent pas une heure de peine. Une autre part du cartésianisme n’appartient pas à Descartes : on remarquera que c’en est précisément pour Bossuet la meilleure, celle que Descartes doit lui-même aux Anselme ou aux Augustin. Et enfin, pour la troisième, non-seulement il l’improuve, mais en toute occasion, non content de l’improuver, il l’a combattue, il la combat, il la combattra. Peut-on être moins cartésien ? d’une manière plus explicite, plus modérée d’ailleurs, mais plus ferme aussi dans sa modération ?

Qu’improuvait-il cependant, et qu’a-t-il combattu dans le cartésianisme ? Ce que nous avons déjà vu qu’y aurait combattu Pascal, — si Pascal avait eu le temps de mettre la dernière main à cette Apologie de la religion dont les Pensées ne sont que les fragmens mutilés ; — et ce qu’après Pascal et Bossuet, Fénelon y a combattu à son tour : une conception mécaniste du monde, où, n’y ayant de place que pour la nécessité, il n’y en avait plus pour la liberté de l’homme, et encore moins pour celle de Dieu. Non que Descartes l’eût ainsi voulu ; et au contraire, tout ce que l’on pouvait essayer pour sauver la liberté de Dieu, je crois, et on doit dire qu’il l’a effectivement tenté. Ce sage n’aimait pas qu’on lui fît des affaires ; et c’est un trait de sa prudence que Bossuet a noté quelque part. Mais la logique intérieure du système avait été la plus forte. On l’avait bien vu, quand des spéculatifs plus hardis, Spinosa