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Enfin, si Voltaire et les voltairiens se plaignent qu’il ait fait graviter l’histoire de l’univers autour de celle du peuple juif, — pour lequel on sait l’étrange, l’insolent, et l’inhumain mépris qu’ils affectent encore, — à qui l’érudition contemporaine a-t-elle donné raison ? Qui donc a dit qu’il n’y avait au monde que « trois histoires de premier intérêt ? » Celle des Grecs, celle des Romains, celle des Juifs. Qui a prouvé que, si le christianisme était et demeure jusqu’ici le fait le plus considérable de l’histoire du monde, il ne s’expliquait lui-même, et ne se comprenait qu’à la lumière de l’histoire du peuple de Dieu ? N’est-ce pas M. Ernest Renan ? Nous dira-t-on aussi de lui, que, s’il n’a pas fait plus de place, une part plus large, dans ses Origines du christianisme, au bouddhisme par exemple, ou, généralement, à l’influence des philosophies orientales, c’est qu’il les ignore ? Mais si l’idée que M. Renan se fait de la philosophie de l’histoire est sans doute un peu étroite, — j’entends toujours chrétienne, en dépit qu’il en ait, ou plutôt toujours biblique, — reprocherons-nous à Bossuet, il y a deux cents ans maintenant passés, de ne s’en être pas fait une plus large ? Ne le trouverons-nous pas excusable, lui, qui n’avait pas été l’élève d’Eugène Burnouf ? Et ne conviendrons-nous pas qu’imaginaire comme les autres, le grief qu’on lui fait, d’avoir ordonné l’histoire du monde par rapport à celle du peuple juif, ce grief à son tour tombe, s’évanouit, et se dissipe comme eux ?

C’est ce que je dirais si j’avais à défendre le Discours sur l’Histoire universelle. J’ajouterais qu’à mon avis, les lacunes ou les défauts n’en sont pas où l’on croit les voir, mais ailleurs, et qu’assurément ce n’est point Voltaire qui les a réparés, dans son Essai sur les mœurs, avec ce qu’il y dit de l’Ezour-Veidam ou de l’empereur Kam-Hi. Mais ce qu’il est plus intéressant de montrer, c’est le dessein que Bossuet s’est proposé dans son Discours, ce sont les raisons particulières qu’il a eues de le publier. C’est aussi que l’intention en est plus subtile, et surtout plus complexe que ne le donneraient à croire la simplicité de l’ordonnance, la lucidité du raisonnement, l’incomparable netteté du style. Unique en effet, pour l’aisance ou la négligence même, un peu hautaine, avec laquelle il jette, en passant, dans sa phrase plus rapide encore que majestueuse, autant d’idées que de mots, Bossuet ne l’est pas moins, dans ses grands ouvrages, pour l’art dont il sait faire marcher du même pas, ou courir de la même allure, l’exposition des faits, la réfutation des opinions adverses, et la démonstration du dogme. J’en voudrais montrer un bel exemple dans le Discours sur l’histoire universelle.

On n’y voit d’ordinaire qu’une philosophie de l’histoire, mais il est encore, et de plus, une apologie de la religion, et une