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versions, et de tout le texte, quel qu’il soit, il en reviendra toujours les lois, les mêmes miracles, les mêmes prédictions, la même suite d’histoires mêmes, le même corps de doctrine, et enfin la même substance ? En quoi nuisent après cela les diversités des textes ? Que nous fallait-il davantage que ce fond inaltérable des livres sacrés, et que pourrions-nous demander de plus à la divine Providence ?


Ne semble-t-il pas que ce soit le bon sens qui parle par sa bouche ? Mais il faut concevoir que ce n’est pas ici la région du bon sens. Quelqu’un faisait récemment observer qu’en ce qui touche le Pentateuque il y avait presque autant d’opinions que d’hébraïsans. Est-il l’œuvre d’un seul auteur, ou de deux, ou de trois, ou de quatre, ou de cinq, ou de six, ou de sept ? On l’ignore. On ne peut pas dire davantage s’il date du temps de Josué, ou de celui de Saül, ou de David, ou de Salomon, ou de Josias, ou d’Esdras, ou de Néhémias, ou d’Alexandre, ou des premiers Ptolémées, ou des Macchabées[1]. Et quand on y songe, c’est de quoi nous mettre en défiance ! Pourtant, cela ne prouve pas non plus qu’il soit effectivement de Moïse, ni même que Moïse ait réellement existé. Aussi Bossuet ne s’est-il pas contenté de cet argument de fond, si je puis ainsi dire, et en a-t-il opposé d’autres à l’Histoire critique du vieux Testament, j’entends de moins généraux, de plus topiques, — et de plus savans.

Quand j’en serais capable, je n’essaierais pas de les résumer. Il ne s’agit pas, en effet, de savoir ce que valent aux yeux de nos modernes exégètes les argumens de Bossuet ; la question est de celles qu’on ne tranche point incidemment ; et, aussi bien, tout ce que je veux dire, c’est que Bossuet n’a laissé sans réponse aucun des argumens de Richard Simon. On en trouvera un exemple dans le passage de son Discours où il essaie de prouver, par le moyen de l’identité du Pentateuque des Juifs et de celui des Samaritains, l’existence d’un original bien antérieur à Esdras et contemporain du schisme des dix tribus. Si c’est un argument dont le savant M. Munck, le prédécesseur de M. Renan dans la chaire d’hébreu du Collège de France, estimait, il y a trente ou quarante ans de cela, qu’un honnête homme pouvait encore se servir, n’avouera-t-on pas bien que Bossuet n’est pas tant critiquable de s’en être aussi lui servi, voilà deux siècles maintenant passés[2] ? Ne puis-je pas ajouter que lorsque l’on trouve, dans une bibliothèque, comme dans la sienne, jusqu’à dix-neuf éditions de

  1. Voyez à ce sujet le dernier état de l’exégèse orthodoxe dans le Cursus scripturœ sacrœ des PP. Cornely, Knabenbauer et de Hummelauer, t. Ier et II. Paris, 1887, Lethielleux.
  2. S. Münck, Palestine, p. 137-138. Paris, 1845. Didot.