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J’ai voulu montrer, en second lieu, qu’on lui faisait tort de sa plus grande part d’invention personnelle et d’originalité quand on ne cherchait sa philosophie que dans ses œuvres « philosophiques. » C’est une idée qui ne fut venue, je pense, à l’esprit de personne avant Victor Cousin, que de prétendre distinguer, dans l’œuvre d’un Pascal, d’un Bossuet, ou d’un Fénelon, leur « philosophie » d’avec leur « religion. » Comme on ne croyait pas de leur temps que la philosophie fût une enseigne ou une profession, il n’y avait pas alors de questionnaire ou de formulaire sur lequel on interrogeât un homme avant que de l’inscrire au rang des philosophes, et sa philosophie, c’était tout simplement la conception générale du monde, de l’homme, et de la vie qui se dégageait de son œuvre. Un Voltaire, en ce sens, un Rousseau, que dis-je ! un La Fontaine ou un Molière même avaient leur philosophie. Nous avons changé tout cela. Nous ne tenons plus aujourd’hui pour philosophes que ceux qui font métier d’argumenter en règle sur la métaphysique ; et l’histoire même de la philosophie ne se soucie d’un grand écrivain qu’autant qu’il lui est arrivé, comme à nos nouveaux scolastiques, d’en disserter en forme. Ne sais-je pas bien des Histoires de la philosophie où tout ce qu’ont pu proposer sur le libre arbitre, dans leurs dissertations inaugurales, les Allemands les plus ignorés, on l’y trouve, mais rien en revanche de ce qu’en ont dit les Luther, les Calvin ou les Jansénius ? Si j’avais aidé quelques philosophes à se faire de leur science une idée plus large, et moins « scientifique, » je ne leur aurais pas rendu, non plus qu’à leurs études, un médiocre service ; et je ne leur demande pas de saluer en Bossuet ce qu’ils appellent « un penseur, » mais d’y voir seulement quelque chose de plus que l’auteur de sa Logique et de son Traité de la connaissance de Dieu.

Et j’ai voulu montrer enfin que rien n’était plus faux que de se représenter Bossuet, comme on le fait trop souvent encore, sur l’autorité de Voltaire, de Sainte-Beuve, et de M. Renan, « tranquillement installé dans sa chaire d’évêque, au moment le plus solennel du grand règne ; » aveugle aux progrès du libertinage, sourd aux bruits précurseurs de la tempête prochaine ; et mourant, en 1704, sans se douter « lui, prophète, » que Voltaire était né. Car on ne l’a donc pas lu ? On n’a lu ni ses Sermons, ni ses Oraisons funèbres, ni ses Avertissemens aux protestans, ni sa Défense de la tradition et des saints pères ? Mais, au contraire, toute sa vie publique n’a été qu’un long combat contre les libertins, — auxquels même on a vu qu’il fallait joindre les critiques, — et, de 1652 à 1704, on pourrait dire, qu’à l’exception de ses écrits dans l’affaire du quiétisme, Bossuet n’a rien publié que contre les critiques et contre les libertins. Si l’on permettait à Richard Simon, au nom de son grec et