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les nuées fussent des divinités : — « Non, vraiment, répondait-il, je les ai toujours prises pour des brouillards ou de la fumée. » — Fumée, brouillards ou éther, le talent qui s’en nourrit n’en vivra pas longtemps.

A la vérité, ce même professeur allemand autorise l’artiste à peindre la maladie, la vieillesse, la caducité, la mort. Mais il a soin d’ajouter que la nature ne nous montre rien à l’état de pureté, que les maladies qu’on peut étudier dans les hôpitaux sont des cas particuliers qui laissent toujours quelque chose à désirer, et il s’ensuit que l’artiste doit suppléer à ce qui leur manque et représenter l’idéal de l’étisie, l’idéal de l’apoplexie, l’idéal de la goutte, ou s’il est peintre de genre, l’idéal des batteries de cabaret, des ivrognes idéaux s’administrant des coups de poing typiques, tandis qu’une broche idéale tourne devant l’idéal d’un bon feu. — Et comment découvrirai-je cet idéal ? demande l’artiste. — En prenant une moyenne proportionnelle, répond gravement le professeur. Voulez-vous peindre une rose ? Assemblez, groupez dans votre esprit cent roses que vous avez vues, ce sera le dividende ; divisez par cent, le quotient sera l’idéal. Appliquez cette même méthode aux visages de femmes, aux broches, aux coups de poing ou aux ivrognes, rien n’est plus simple. Qu’est-ce à ce compte que l’Antiope du Corrège ? Le résultat d’une division bien faite. Qu’est-ce que la Madone sixtine ? Un beau quotient.

Winckelmann avait formulé à sa manière la théorie de la moyenne proportionnelle, quand il enseignait que « comme l’eau pure, la beauté parfaite n’a aucune saveur particulière, » d’où il résulte que plus elle est insipide, plus elle est parfaite, que moins les choses ont de caractère, plus elles sont belles, et que si l’idéalisme consiste à embellir la nature, il ne peut mieux s’y prendre qu’en s’étudiant à l’affadir. La barbarie, la grossièreté est la mort de l’art, mais on le tue plus sûrement encore par les fausses règles et les faux raffinemens. De même que chaque époque a son idéal convenu de la jolie femme, auquel bon gré mal gré et en dépit des résistances de la nature, il faut ressembler si l’on veut plaire, tel artiste se fait un idéal d’élégance et de grâce, un code de la parfaite beauté. Comme le manuel du parfait cuisinier, c’est un recueil de recettes, que, cuisinier très imparfait, il applique indifféremment à tous les sujets.

Dans le fond, il n’a fait que réduire en système le goût de son temps ; il sacrifie le caractère permanent des choses à une mode qui passe, et confondant ce qui plaît avec le beau, il oublie que ce qui plaît aujourd’hui ne plaira pas demain. Peut-être s’appelle-t-il l’Albane, et il peindra des Galatée, des Europe, des Danaé, des Diane,