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défendre contre ses dédains, contre ses injustices, et il demande à l’art d’être une nature appauvrie, mais mieux ordonnée, où ce qui mérite d’être vu ne soit jamais caché, où ce qui mérite d’être admiré ne soit jamais amoindri et où la lumière se réserve en quelque sorte à ce qui mérite d’être éclairé.

Le réaliste simplifie par nécessité et à regret. Il sait que, la nature étant infinie dans le petit comme dans le grand, il doit renoncer à la reproduire telle que la voient ses yeux perçans d’analyste ou d’épervier, qu’il est condamné à prendre et à laisser ; mais il craint toujours que ce qu’il laisse ne soit le meilleur ; les retranchemens lui coûtent, il se les reproche comme des cruautés ou des attentats. L’idéaliste simplifie par goût ; il ne voit dans son œuvre que le motif principal, qui seul lui paraît digne de l’intéresser, et il est heureux de lui tout sacrifier : non-seulement il fait des coupes sombres dans l’épaisseur des forêts, il émonde les arbres qu’il aime, il en élague les superfluités, il favorise la nourriture des branches fécondes en supprimant les végétations parasites et gourmandes. Quoiqu’il ait pour principe que le superflu est toujours nuisible, il n’ignore pas que dans ce monde rien n’est isolé, que de toutes les chimères la parfaite indépendance est la plus chimérique, que si grand qu’on puisse être, on a besoin d’un plus petit que soi, que tout ce qui vit paie tribut à ce qui l’entoure, et que partout il y a des accessoires nécessaires à l’intelligence d’un sujet. Mais il en est sobre et même avare, et craignant sans cesse qu’on ne les prenne pour l’essentiel, il leur mesure avec parcimonie la place et la lumière. Le réaliste noie quelquefois le texte dans les notes ; l’idéaliste s’en tient aux commentaires rigoureusement indispensables, et de propos délibéré, il se contente souvent de simples indications.

Un proverbe dit qu’il n’y a pas de grand homme pour les valets de chambre : ils ont vu leur maître de trop près, dans toutes les circonstances de sa vie, et les moindres particularités de sa personne leur sont connues. L’idéaliste sait que rien n’est plus propre à diminuer un grand objet que l’abondance des détails ; comme les accessoires, il les économise, il les réduit au strict nécessaire. Qu’il soit architecte ou sculpteur, peintre d’histoire ou paysagiste, musicien ou poète, il écarte avec soin tout ce qui pourrait affaiblir la grande impression qu’il désire nous transmettre, et selon le mot d’un de nos plus puissans romanciers, « il ne met pas tout en dehors, mais il s’applique à laisser voir ce qui est au dedans. » S’il simplifie, s’il condense outre mesure, son œuvre sera dure, rigide, froide, sèche, et attristera notre imagination par sa pauvreté volontaire poussée jusqu’à l’indigence ; s’il sait gouverner