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sulfures alcalins, préparés à l’abri de l’air, sont susceptibles de s’échauffer au contact de l’atmosphère humide, jusqu’à inflammation spontanée. C’est le cas notamment de l’alun calciné en présence du charbon ou des matières organiques, préparation à la portée des alchimistes d’autrefois.

Il semble donc que les anciens aient eu quelque connaissance de ces pyrophores, que la chimie d’aujourd’hui permettrait de fabriquer aisément et par des procédés bien autrement variés et efficaces. Mais l’histoire positive ne fait mention d’aucun événement militaire où ils aient joué un rôle sérieux.

Ce ne serait pas donner une idée complète des compositions incendiaires d’autrefois, si l’on n’ajoutait quelques mots sur les matières phosphorescentes, à l’aide desquelles les magiciens et les prestidigitateurs, — c’était tout un au moyen âge, — donnaient l’illusion de l’incendie et dominaient îles esprits crédules, en s’attribuant un pouvoir imaginaire dans la guerre. Les chroniques et les romans sont remplis de ces terreurs. Déjà, les alchimistes égyptiens savaient l’art de rendre phosphorescens les objets et les pierres précieuses, en les enduisant avec les biles des animaux marins : de là tant de contes sur l’escarboucle qui luit la nuit. On frottait avec ces mélanges les objets les plus divers, de façon à les rendre lumineux dans l’obscurité et à faire croire à une apparition magique, ou à un incendie continu. Marcus Græcus expose plusieurs compositions de ce genre, où entrent les biles de tortue, les corps des vers luisans et des cantharides, etc., et il les fait remonter à Hermès et Ptolémée, c’est-à-dire à la tradition antique. Il décrit en même temps des recettes pour faire paraître les objets rouges, ou verts, ou couleur d’argent ; pour traverser le feu, ou pour porter un fer rouge sans être blessé : ce qui se rapporte aux ordalies ou jugemens de Dieu ; pour faire paraître un homme en feu, sans qu’il soit brûlé, etc. Plusieurs de ces recettes existent également dans les traités de pyrotechnie arabe, et elles se sont conservées dans ces livres de secrets, qui n’ont cessé d’être transcrits ou réimprimés, depuis le temps d’Albert le Grand jusqu’à nos jours. Ces artifices remontent à l’antiquité : ils y étaient associés, comme dans le Liber ignium, à l’emploi des matières incendiaires véritables, et leur constatation fournit un témoignage frappant de l’état psychologique des hommes d’autrefois et des guerriers du moyen âge.


II. — DU FEU GRÉGEOIS.

Peu d’inventions ont frappé plus vivement l’imagination des hommes que celle du feu grec, grégeois en vieux français. Cette