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siège de Constantinople par les Arabes, vers la cinquième année du règne de Constantin III, qu’un transfuge venu des pays occupés par les musulmans, Callinicus, architecte, d’Héliopolis (en Syrie, d’après les uns ; en Égypte, d’après d’autres), apporta aux Grecs le feu grégeois : il en fut réputé l’inventeur. Grâce à cette découverte, la flotte arabe fut incendiée et détruite à Cyzique.

Au cours des siècles suivans (936), une flotte russe, dirigée contre Constantinople, fut anéantie de la même manière : — « C’est alors, dit le chroniqueur russe Nestor, qu’armé d’un feu ailé et au moyen d’un certain tuyau, le général grec lance la flamme sur les navires russes : spectacle aussi effrayant qu’extraordinaire. Les Russes, à l’aspect de ce feu magique, se précipitent à la mer pour échapper à son atteinte et parviennent en très petit nombre à regagner leur pays. »

Léon l’Iconoclaste, d’après Cedrenus, repoussa de même l’attaque des moines soulevés contre lui et brûla leurs vaisseaux avec le feu grégeois. Au Xe siècle, on en pourvoit la flotte chargée de reconquérir la Sicile sur les Sarrasins. Anne Comnène rapporte également comment l’empereur Alexis au XIe siècle, étant en guerre avec les Pisans, fit préparer le feu grégeois, destiné à être lancé sur les vaisseaux ennemis au travers des gueules d’animaux sauvages, figurées en métal doré pour augmenter la terreur.

Jusqu’au Xe siècle, d’ailleurs, l’emploi du feu grégeois paraît limité aux guerres navales. Tout au plus était-il projeté sur les habitations situées au bord de la mer, d’après un récit de Nicétas : « On lança sur les maisons des malheureux habitans du bord de la mer le feu liquide, qui, dormant dans des pots fermés, éclatait subitement et embrasait les objets qu’il attaquait. »

Il est probable qu’il servait dès lors pour la guerre de siège ; mais son application à cet égard n’est pas signalée comme distincte de celle des anciens engins incendiaires. En effet, ceux-ci tendent à se confondre dans les récits des historiens des croisades avec le feu grégeois, dont ils deviennent de simples variétés. C’est dans ces termes incertains que les compositions incendiaires sont signalées à partir du siège de Jérusalem, par quelques chroniqueurs. Pendant le long siège de Saint-Jean-d’Acre, à la fin du XIIe siècle, on l’emploie sur terre et sur mer. D’après Gauthier Vinisauf, témoin oculaire, dans le cours d’une bataille navale entre chrétiens et musulmans, « ceux-ci mettent le feu aux navires avec une huile incendiaire appelée feu grégeois. Ce feu développe une odeur pernicieuse et des flammes livides ; il brûle les pierres et le fer ; l’eau ne peut le vaincre ; mais on l’éteint en le couvrant de sable et on