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l’apaise par des affusions de vinaigre. » — Ailleurs, le même écrivain parle d’un plongeur qui périt en apportant le feu grégeois aux assiégés dans une peau de loutre : ce qui semble un conte, car les historiens arabes, rapportant le même fait, disent que le plongeur portait mille pièces d’or.

On l’employait aussi en campagne : Vinisauf rapporte l’aventure d’un émir à cheval, qui portait sur lui un vase rempli de feu grégeois, allumé et destiné à être lancé sur ses ennemis. Mais il fut jeté bas, avec son pot, qui se brisa et lui brûla les entrailles. L’auteur chrétien rapporte encore l’incendie d’une tour par le feu grégeois ; et ce même incendie est raconté plus en détail par les chroniqueurs arabes, avec des renseignemens tout à fait conformes à ce que nous pouvons savoir aujourd’hui, relativement aux effets d’une semblable composition. « Un jeune homme de Damas promit de brûler les tours d’attaque des Francs, si on lui donnait les moyens d’entrer dans la ville assiégée… Pour tromper les assaillans, il lança sur l’une des tours des pots de naphte et d’autres matières non allumées, qui ne produisirent aucun effet. Aussitôt les Francs, pleins de confiance, montèrent d’un air de triomphe au haut de la tour et accablèrent les musulmans de railleries. Cependant l’homme de Damas attendait que la matière contenue dans les pots fût bien répandue. Ce moment arrivé, il lança un nouveau pot tout enflammé : à l’instant le feu se communiqua partout, et tout fut consumé. L’incendie tut si prompt que les Francs n’eurent pas même le temps de descendre : hommes, armes, tout lut brûlé. » C’est bien, en effet, ainsi qu’un homme expérimenté devait s’y prendre, couvrant d’abord l’objet de naphte liquide, afin qu’il prît feu ensuite, tout d’un coup, dans toute son étendue.

L’usage du feu grégeois et des compositions incendiaires multiples résumées sous ce nom se répandit alors de plus en plus. Non-seulement on l’appliquait dans les sièges, à la façon des Grecs et des Romains ; et dans la guerre navale, à la manière des Byzantins ; mais les musulmans, c’est-à-dire les Persans et les Turcs qui combattaient les croisés, mirent en œuvre le feu grégeois dans la guerre de campagne.

Ils attachaient des compositions incendiaires à tous leurs traits, armes d’attaques ou machines de guerre. Ils lançaient à la main des pots à feu, en terre ou en verre, qui se brisaient en couvrant l’ennemi de feu ; ils l’aspergeaient de feu, avec des bâtons creux et des massues. Nous possédons à la Bibliothèque nationale de Paris deux manuscrits : l’un arabe (n° 1127), du XIIIe siècle, qui représente ces balles à feu, lances, massues, marmites, etc. ; l’autre latin, du commencement du XVe siècle (n° 7239), où sont dessinés