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sans doute, plus d’une fois les victimes. C’est là un fait capital, sur lequel il convient maintenant d’appeler l’attention.

Les projectiles incendiaires des anciens et le feu grégeois lui-même étaient lancés à l’aide d’engins mécaniques, mis en jeu par la force des bras humains, ou, dans certains cas spéciaux, par celle des chevaux. L’existence d’une force explosive spéciale ne pouvait se révéler dans les matières combustibles d’alors, matières fixes ou peu volatiles, qui brûlent aux dépens de l’oxygène atmosphérique. Pendant les premiers siècles de son usage, le feu grégeois fut envisagé de la même manière.

Cependant, lorsque les Byzantins composaient ces flèches ardentes, ces malleoli, dont la partie centrale était remplie par une composition nitratée, ils ne durent pas tarder à s’apercevoir qu’une semblable flèche, projetée par une arbalète, avait une certaine tendance à s’arrêter, sinon même à reculer. L’invention de la fusée (tunica volatilis ou feu volant) sortit de cette remarque.

Nous avons vu comment on préparait la fusée au XIIIe siècle, d’après les Arabes et Marcus Græcus, en enfermant dans une enveloppe le mélange nitrate, formé tantôt de soufre, de charbon de tilleul et de salpêtre ; ou bien, d’après d’autres formules, de colophane, de soufre, de salpêtre, délayés dans l’huile de lin. Les Arabes avaient même utilisé cette invention pour faire mouvoir une sorte de brûlot terrestre : l’œuf qui se meut et qui brûle.

En général, la fusée était placée, comme le feu grégeois, dans un tube, et l’on reconnut, sans doute bien vite, qu’il était inutile de recourir pour la lancer à une force étrangère. Il suffisait d’allumer la fusée par la partie la plus éloignée de l’orifice du tube qui la contenait, pour que la combustion développât des gaz qui forçaient la fusée à reculer, avec une force impulsive croissante, et dans une direction déterminée par la direction même du tube. Une fois sortie du tube, elle continue à avancer, jusqu’à épuisement de sa matière combustible. Dans la figure d’autres engins, la fusée forme le noyau d’une flèche incendiaire qu’elle entraîne. Mais ces tubes ne tardèrent pas à être remplacés par une simple baguette directrice. L’emploi militaire de la fusée constitue une grande découverte, qui apparaît seulement au XIIIe siècle.

Un nouveau progrès conduisit à utiliser la force impulsive de la matière fusante, de façon à lancer un projectile disposé à l’extrémité libre du tube. C’est ainsi que la force explosive de la poudre s’est tournée en agent balistique. Le fait une fois constaté et compris, — et il ne l’était pas encore au temps de Roger Bacon, — on ne tarda pas à construire des engins destinés à lancer,