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non-seulement de petits projectiles, tel que celui qui vient d’être décrit, mais aussi des pierres, des boulets, de grands carreaux, armés eux-mêmes de feu. Je citerai tout à l’heure des dessins manuscrits qui témoignent de cet état primitif de l’artillerie. Mais il convient d’insister d’abord sur les nouveaux engins, destinés à un si grand avenir.

Les premiers tubes de métal jouant le rôle de canon qui soient cités auraient été employés à Metz en 1324 ; ils sont aussi désignés dans un acte authentique de la république de Florence, en 1326. Du Gange et La Cabane ont relevé des documens analogues, à partir de 1338, dans les archives françaises. A la défense de Cambrai, en 1339, figurent 10 canons, 5 de fer, 5 de métal (bronze), ainsi que la poudre pour les servir. En 1346, à la bataille de Crécy, les Anglais mirent en ligne trois petits canons, qui lançaient des boulets de 1er et de feu.

Le caractère redoutable du nouvel instrument fut aussitôt reconnu, quoique les dimensions en fussent d’abord restreintes. L’emploi s’en répandit rapidement dans les villes fortifiées et châteaux-forts de la France et de l’Allemagne. Les poudreries d’Augsbourg (1340), de Spandau (1344), de Liegnitz (1348) sont signalées par les chroniqueurs ; ils nous apprennent que le consistoire de Lubeck fut incendié en 1360 par la négligence des gens qui préparaient la poudre pour les bombardes. Pétrarque, dans son traité de Remediis utriusque fortunœ, écrit, dit-on, vers 1344, parle de ces machines qui lancent par l’action du feu des boulets de bronze avec un bruit épouvantable : « Machines rares naguère, ajoute-t-il, et maintenant aussi répandues que n’importe quelles armes. » En 1354, on rencontre le nom du moine Berthold Schwartz, comme celui d’un inventeur en artillerie. On n’en sait rien de plus, si ce n’est qu’il a donné lieu à toute une légende, d’après laquelle il aurait inventé la poudre et serait devenu victime de sa découverte. En réalité, à ce moment, la poudre était connue depuis un siècle au moins, et l’artillerie en général, déjà d’un emploi courant.

Le mot bâton à feu était, à l’origine, une expression générique, désignant toute arme à feu, qu’elle fût portative et employée par un homme isolé, ou qu’elle présentât de plus grandes dimensions. Cependant, le nom de bombarde était spécialement affecté aux machines qui lançaient de grosses pierres ou boulets. Quant au mot canon, il signifiait d’abord le tube seul ; plus tard, il s’appliqua à l’arme entière.

L’emploi de ces engins se généralisa rapidement, comme il arrive pour les inventions militaires, dans lesquelles personne ne souffre d’être surpassé par ses voisins.