Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à laquelle on pouvait prétendre par le nouvel ordre de compositions, et que l’on n’a guère tardé à réaliser : ce terme est aujourd’hui atteint et l’art des inventeurs ne s’exerce plus en réalité que sur les conditions plus ou moins efficaces de son utilisation. C’est la théorie enfin qui a fourni les règles exactes de la construction des armes nouvelles, destinées à utiliser les nouvelles poudres. En un mot, nous retrouvons ici le caractère général des progrès accomplis par l’industrie du XIXe siècle. Elle repose sur la science proprement dite, laquelle lui fournit des règles certaines, appuyées à la fois sur l’expérience méthodique et sur les déductions rationnelles. Sans doute le dernier détail des propriétés des corps nous échappe encore et ne peut être complètement défini que par l’empirisme. Mais celui-ci a cessé d’être le maître souverain des applications.

Ce sont là des vérités qui n’ont pas encore été suffisamment reconnues ni par le vulgaire, ni même par les politiciens et les gouvernemens. Ils sont trop portés à attribuer le bienfait des merveilleuses découvertes de notre temps aux inventeurs industriels, qui tirent parti des grands travaux de science pure pour faire fortune, sans y apporter parfois d’autre contingent personnel que celui de tel ou tel phénomène particulier visé par leur brevet d’invention. La reconnaissance publique ne va pas plus loin ; elle ignore d’ordinaire que le principal mérite des inventions, les unes offensives, les autres bienfaisantes, qui changent la face du monde et la condition de la race humaine, est attribuable en réalité non aux industriels, mais aux savans, leurs maîtres : je veux dire aux hommes qui découvrent dans leurs laboratoires ou dans leurs cabinets les lois générales de la nature. Newton et Galilée, en trouvant les lois du système du monde et celles de l’astronomie moderne, ont incomparablement plus fait pour la navigation que le plus habile constructeur de montres marines ou de locomobiles. Lavoisier, en exposant les principes de la combustion et la nature véritable de nos corps simples, a avancé les arts métallurgiques et industriels davantage que le praticien le plus réputé et le plus enrichi par ses brevets. Tel mathématicien s’occupant de thermodynamique, tel chimiste étudiant les propriétés générales des corps et le mécanisme de leurs métamorphoses, rendent plus de services à l’art de la guerre, aux arts industriels, ou à l’agriculture que tous les inventeurs de détails pratiques réunis. Sans doute l’opinion a cessé d’être, comme elle l’était au moyen âge, hostile à la science. Après avoir été réputée trop longtemps suspecte, celle-ci a été plus tard tolérée comme une curiosité, et elle a fini par être entourée de nos jours d’un sentiment de sympathie,