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J’étais resté sur le champ de bataille, parmi les morts et les blessés, mon sabre à la main. Un sergent anglais, qui ne s’était pas aperçu que j’étais blessé, faisait tous ses efforts pour me percer de sa pique ; il me semblait ivre. Je parais tous ses coups. J’aurais pu facilement le tuer, en ripostant, je me bornai à lui donner, dans le visage, un bon coup du pommeau de mon sabre, cela le dégrisa. Un officier anglais, qui me voyait me débattre contre cet homme me dit, en français :

— Vous ne pouvez plus vous défendre, monsieur, vous êtes seul, je vous invite à vous rendre.

— Je le veux bien, répondis-je, et pour preuve, voici mon sabre, mais dites à ce diable d’homme de me laisser tranquille.

Il le fit.

C’était le sergent à la pique que je désignais ainsi, mais quand il eut reconnu que j’étais gravement blessé, il témoigna les plus vifs regrets, il appela des soldats, me fit relever et voulut lui-même me donner des soins. Enfin, on me mit sur des fusils, et l’on me porta à l’ambulance des Anglais pour y être pansé. L’affaire était terminée ; les deux armées avaient pris position en arrière.

Ce que j’avais prévu était arrivé. Le 1er bataillon, placé derrière le 2e, tourné, après s’être mêlé avec les Anglais, avait été mis en déroute en même temps que le mien. Dans la dernière charge le porte-aigle du 1er bataillon ayant été tué, les Anglais s’étaient emparés de cette aigle. Bien des braves se dévouèrent pour la reprendre et trouvèrent ainsi une mort glorieuse. Cette aigle coûta cher aux Anglais, beaucoup de leurs officiers payèrent de leur vie l’honneur de la conserver, mais enfin, elle leur resta.

Il en était à peu près de même à la 1re division. Elle était en retraite, laissant sur le champ de bataille : le général Ruffin, qui la commandait ; le général Chaudron-Rousseau, un grand nombre de morts et de blessés, cinq pièces de canon, dont les attelages avaient été tués à coups de fusil.

J’appris plus tard, étant prisonnier, quelles avaient été les pertes de mon régiment au combat de Barossa. Il comptait, le matin 1,200 hommes. Il avait eu, dans cette action, son colonel et un chef de bataillon tués ; un chef de bataillon blessé et prisonnier (c’était moi) ; 17 officiers subalternes et 934 sous-officiers ou soldats tués ou blessés. Perte énorme et extraordinaire !

En arrivant à l’ambulance anglaise, je fus bien surpris d’y rencontrer le colonel Busch, ce colonel que j’avais fait prisonnier au commencement de l’action. Il me raconta qu’étant atteint de deux blessures et se trouvant très fatigué, il avait demandé au