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de les contraindre ; elles peuvent à la rigueur se passer de nous ; il faut donc ne rien négliger pour traiter avec elles. La Belgique et la Suisse peuvent avoir des exigences bien plus légitimes que l’Espagne : leurs principaux produits, les fils fins de coton et de lin, les broderies, l’horlogerie, sont frappés par nos nouveaux tarifs de droits prohibitifs. Nous ne pourrions, sans porter aux intérêts français les plus divers un dommage incalculable, affronter le risque d’une rupture avec la Suisse et la Belgique.

Il conviendrait même d’étendre le régime des traités de commerce à de grands pays qui sont restés jusqu’ici en dehors de ces conventions : les États-Unis d’Amérique et la Russie. On parle d’une convention avec les États-Unis pour quelques articles dont l’importance ne dépasserait guère une ou deux dizaines de millions de francs ; une convention restreinte à des proportions si minimes est indigne de deux grands et riches pays. On ne comprend pas non plus que nous ne cherchions pas à développer notre commerce avec les 110 millions d’habitans de l’empire russe. Rappelons-nous le mot récent du chancelier de Caprivi : « L’hostilité économique est incompatible avec l’amitié politique. » Or, la France et la Russie ont entre elles un régime de douanes qui est en complète opposition avec leurs sentimens d’amitié.

Les compensations à offrir aux États-Unis et à la Russie ne nous manqueraient pas. L’abaissement des droits sur le pétrole, sur le maïs, peut-être sur quelques autres denrées, serviraient très utilement à un accord efficace avec ces deux pays. Si nous pouvions obtenir, en revanche, des droits modérés sur nos soieries, sur nos lainages, une taxe de 10 à 12 francs par hectolitre sur nos vins en fûts, et des droits qui ne fussent pas exorbitans sur nos vins en bouteille, l’avantage serait considérable et pour notre industrie et pour notre agriculture. Par malheur, gouvernement et parlement chez nous manquent également de prévoyance. On l’a bien vu par le vote étourdi de la chambre en ce qui concerne le pétrole. Cette chambre qui a taxé si lourdement le pain, la viande, toutes les denrées de consommation populaire et quantité de matières qu’élaborent nos industries, s’est tout à coup prise d’amour pour le pétrole : lui seul, au milieu de tant de produits utiles, non-seulement échappe à toute surtaxe, mais se trouve dégrevé de moitié. Ce dégrèvement intempestif prouve bien toute l’irréflexion de la chambre et toute la puissance de ses préjugés contre les traités de commerce. Un abaissement du droit sur le pétrole est, en effet, une des principales compensations que nous puissions offrir à la Russie et aux États-Unis d’Amérique pour obtenir de ces pays d’indispensables degrèvemens sur nos articles d’exportation. Le chancelier de Caprivi faisait preuve d’une