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soit pour elle ; et dans les lois qu’ils fabriquent, ils s’ingénient sournoisement à lui enlever le bénéfice de la liberté promise. Qu’est-ce là, si ce n’est l’hommage de la haine à la vitalité de celle dont tant de bouches menteuses dénoncent la décrépitude ?

Associez-vous, dit le pape aux ouvriers. Le levier demandé pour soulever le monde, l’Église l’a dès longtemps découvert ; c’est l’association. Et ce qu’il faut pour réunir les hommes et pour les tenir unis, l’Église l’a reçu de sa tradition et de l’Évangile. Si elle possède, à un degré si éminent, le génie de l’association, c’est qu’elle a tout ce qui peut le faire naître et le faire vivre ; l’esprit d’amour, de douceur, de dévoûment, et non moins l’esprit d’ordre et de discipline. Comment, après cela, s’étonner que des sociétés chrétiennes grandissent et prospèrent là où nos sociétés profanes s’étiolent et meurent ? C’est que, pour le chrétien, solidarité et fraternité ne sont pas une formule sonore. Le christianisme est contraire à l’isolement. En ce sens, il est opposé à l’individualisme. Tout, chez lui, pousse les hommes à s’unir en groupes fraternels. Une société vraiment chrétienne serait un vivant agrégat de libres associations de toute sorte. Vœ soli ! nous crie la Bible, depuis des siècles ; et, comme nous le rappelle encore Léon XIII, melius est duos esse simul quam unum. En ce sens donc, le christianisme répugne non moins à l’égoïsme individualiste qu’au collectivisme obligatoire et à l’absorption de l’individu par l’État. Le self-help ne lui suffit point ; et le jour où le problème social devait lui être posé, l’Église devait chercher la solution dans l’association.


I

Aussi bien, — puisque pour les deux points qui tiennent le plus au cœur des ouvriers, pour la durée du travail et pour le taux des salaires, le saint-père, à l’inverse des socialistes de toute robe, n’attend guère rien de l’État, — il était ramené aux associations libres, aux corporations. C’est à elles, nous l’avons vu, que l’Église, par la bouche de Léon XIII, demande le remède aux plaies sociales. Cette fois, nul n’ira le contester, ce n’est pas là un palliatif sans vertu ou une inoffensive recette de bonne femme. C’est un remède énergique, un réactif violent, assez puissant pour guérir les sociétés, à moins qu’il ne les tue. Tout dépend de la façon dont on le leur applique. Nous en faisons l’épreuve en ce moment ; aux mains de certains médecins, je ne sais si le malade aura la force d’y résister.

Il est loin déjà, le temps où vingt Français ne pouvaient se réunir pour parler de religion ou d’économie sociale sans s’exposer à des poursuites ; le temps où l’empereur Napoléon III et M. Emile Ollivier