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chard et Jeffreys ont bien pu, en 1784, venir heureusement, suspendus à leur frêle montgolfière, du château de Douvres à la forêt de Guines : semblable entreprise, l’année suivante, coûta la vie à Pilaire de Rozier, et ces hardis navigateurs des airs n’ont eu depuis que de rares imitateurs. Pont ou tunnel, telles sont les deux routes entre lesquelles voudraient choisir ceux qui, aujourd’hui, trouvent le navire insuffisant. Passera-t-on au-dessus ou au-dessous de ces flots dont on dédaigne les services, dont on veut esquiver la fureur, ou plus simplement, la trop fréquente maussaderie ?


I.


La conception du tunnel parait être la première dans l’ordre chronologique. Dès 1801, l’ingénieur Mathieu imaginait, passant sous les flots, un long souterrain en maçonnerie, qui, de Calais à Douvres, eût donné passage aux malles-poste. Les relais de che- vaux, l’éclairage de cette route ténébreuse, tout était prévu dans ce projet, auquel, dit-on, le premier consul accorda un moment d’attention. Mais bien vite il le jugea tout au moins prématuré, mieux avisé cette fois que lorsque, quelques années après, il décourageait Fulton.

Plus tard, un autre ingénieur, Thomé de Gamond, dont le nom mérite davantage d’être sauvé de l’oubli, reprit l’idée du tunnel. Il n’y arriva pas tout d’abord. En 1833, c’est un isthme artificiel qu’il veut créer entre le continent et la Grande-Bretagne, en jetant dans les flots les débris des falaises voisines. Trois passages, recouverts de ponts mobiles, eussent été une dernière concession faite à la marine. L’année suivante, il projette un énorme tube couché au fond du détroit ; cette idée, qu’il abandonne bientôt, a été, à plusieurs reprises et aujourd’hui encore, recueillie par des esprits aussi opiniâtres qu’entreprenans. En 1836, Thomé de Gamond songe à jeter du cap Blanc-Nez au South-Foreland, un pont colossal, assez élevé pour laisser sous ses travées passage aux navires les plus haut matés. Puis, enfin, avec la mobilité qui est quelquefois l’inconvénient et en même temps le correctif de l’esprit d’invention, abandonnant isthme, tube et pont, Thomé arrête ses préoccupations définitives à l’idée d’un tunnel sous-marin. Pendant vingt-cinq ans, il y consacre les loisirs que pouvaient lui laisser la direction d’une cristallerie à Paris et les soucis d’une exploitation agricole dans le Berry.

Il voulut donner, — et c’est une justice à lui rendre, — une base véritablement scientifique à ses études, en les faisant commencer par l’investigation géologique des terrains qui forment le