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un roseau de vingt centimètres environ ; à une extrémité, il plaça un autre roseau verticalement pour aspirer, versa un peu d’eau par l’extrémité ouverte, mit ensuite du tabac sur l’orifice du trou, le couvrit de charbons ardens, et à genoux, la face au sol, il tira quelques bouffées. Comme je le regardais en riant :

Ijakhchi, c’est bon, me dit-il. — Et sa figure était toute souriante.

L’on continue la route. Enfin voici là-bas des arbres se profilant sur l’horizon. Ce sont les oasis khiviennes ; nous approchons.

L’on atteint les arbres, et brusquement, sans transition, on se trouve sur une route limitée par des murs en terre, et la vue plonge dans les jardins, dans les champs cultivés. J’éprouve l’impression de rentrer en pays civilisé. Ces grands champs du delta demi-incultes, ces steppes, ces broussailles, ces toguais, ces lacs, tout ce décor de pays sauvage disparaît subitement.

Voici des champs limités par des murs, des villages en terre. Plus de tentes, plus de troupeaux errant à l’aventure. C’est un brusque changement.

Le sauvage delta a fui. On est dans les oasis.

Que ce mot oasis n’aille point éveiller dans l’imagination du lecteur l’image du djerid saharien. Point de source à l’eau jaillissante. L’eau du fleuve, amenée par les hariks, est distribuée par des fossés secondaires sur les champs. La steppe, sur laquelle la culture a été établie, enserre de toutes parts l’oasis qui disparaîtrait aussitôt, si un cataclysme ou un manque de soins empêchait l’arrivée de l’eau. C’est une création de culture due à l’industrie humaine et qui ne se maintient qu’à force de soins et d’efforts. Point de palmiers. Saulins, peupliers djida, et toutes les sortes d’arbres fruitiers, mûriers, vignes, constituent les espèces les plus communes. Les gelées d’hiver empêchent toute culture d’arbres des pays chauds.

Les céréales, le riz, le sorgho, le coton, le tabac, le maïs, la luzerne et les plantes oléagineuses (sésame, carthame), etc., y poussent. Mais toute culture n’étant possible qu’avec l’irrigation, chaque champ reçoit de l’harik un canal d’amenée d’eaux. Des fonctionnaires sont chargés de la surveillance constante de tous ces fossés, car le manque de vigilance conduirait à des inondations, à des désastres. Quelques-uns de ces hariks se terminent dans des lacs, d’autres dans des sables, et les eaux inutilisées vont s’y perdre.

Nous sommes ici en pays occupé par les sédentaires, en pays uzbeg comme à Khiva, Ourgendj, Tachaouze, Kiat, etc., sur la rive gauche ; Choura-khan, Cheikh-Abas-Ali, Bii-Bazar, sur la rive droite.