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d’un éclat, d’une pureté extrêmes sous ce grand ciel d’Asie sans nuages, toujours clair. Les moindres détails de construction, les moindres tiges des arbres se dessinent avec une netteté, une dureté précise. Ces tons gris des maisons, ces tons froids, tristes, s’échauffent soudain sous le moindre rayon de soleil et se transforment en teintes chaudes, vieillies, fanées, donnant à toutes ces masures un air de vétusté, un cachet de choses très anciennes sur lesquelles la poussière des siècles se serait amassée lentement.

De Koungrad à Kkiva, nous avons coupé dans toute son étendue le khanat indépendant deKhiva, rejeté depuis 1873 sur la rive gauche du fleuve. Déserts incultes de Koungrad à Khodjéili, oasis séparées par des lambeaux de steppe, tel est tout ce qui reste de cet ancien empire du Kharezm qui fut jadis si puissant et si redouté.

De cette courte traversée du khanat, il m’est resté un étonnement. Comment un territoire si exigu a-t-il pu payer l’énorme indemnité de guerre exigée par la Russie ? Il faut avouer qu’une effroyable misère désole le pays. Le malheureux cultivateur khivien est accablé d’impôts. Bientôt, cette lourde taxe de guerre sera acquittée, et le pauvre pays pourra sans doute se régénérer.

L’exigu territoire de ce khan, protégé par la Russie, n’est plus aujourd’hui qu’une enclave au milieu de l’Asie russe, enclave n’ayant aucune importance, n’offrant aucun danger en cas de complications extérieures. La Russie n’a à craindre aucune révolte, aucune tentative de soulèvement. Un simple ukase suffirait pour transformer ce khanat en province russe. Le khan ne pourrait résister à l’offre que lui ferait le gouverneur militaire de l’Amou-Daria, de changer de climat. Un fonctionnaire russe, escorté de quelques cosaques, irait s’installer à Khiva, et la puissance khivienne aurait vécu à jamais. Il est même à regretter qu’il n’en ait point été ainsi dès 1873. Aujourd’hui, le pays est épuisé, dévasté par les exactions des employés du khan. Il faudra de longues années de sage et prudente administration pour lui rendre sa prospérité, relever les ruines, et surtout pour effacer les souvenirs des rapines et des concussions des fonctionnaires khiviens qui prennent l’argent pour payer le Russe, comme ils disent.

Après un court séjour à Khiva et à Pétro-Alexandrof, je remontai le fleuve jusqu’à Tchardjoui en suivant la route décrite plus haut, gardant, de mon séjour au Kharezm, le souvenir de grands paysages pleins de soleil et d’un voyage que l’amabilité russe m’avait rendu facile.


P. GAULT.