Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’état de servir à une condensation nouvelle. Chaque opération a diminué le nombre des poussières utilisables, et le brouillard a diminué proportionnellement.

De ces faits, et de beaucoup d’autres que M. Aitken a relatés, le physicien écossais a tiré la conclusion que tout phénomène de condensation de la vapeur d’eau atmosphérique en forme visible, palpable, nécessite la présence de poussières dans l’atmosphère, que chaque gouttelette de brouillard, brume ou nuage, est formée d’un noyau solide, d’une parcelle, d’une poussière, sur laquelle s’est condensée une petite quantité d’eau.

Ce fait est d’une haute importance pour les expériences relatives à la pluie artificielle : mais avant d’en venir à ce point intéressant, je voudrais dire quelques mots encore des recherches de M. Aitken. Deux questions principales se posent, au sujet de cette théorie nouvelle : combien y a-t-il de poussières dans l’atmosphère, — Dans cette atmosphère où les nuages sont si abondans par momens ? — Comment peut-on les déceler, et d’où viennent-elles ?

L’abondance des poussières ne peut faire de doutes pour personne. Dans certains cas, l’air en est visiblement obscurci : la poussière forme dans l’atmosphère une sorte de nuage opaque que nul ne peut méconnaître. Il n’est personne qui ne l’ait vu se former durant l’agitation qui précède souvent l’orage ; l’air s’est tout à coup rempli d’une nuée de poussière prise au sol desséché, et cette nuée voile la transparence normale de l’air. Le plus souvent, elle tombe immédiatement, mais il n’en est pas toujours ainsi : si le vent est fort, elle peut être enlevée à des hauteurs variables, et si les parcelles les plus lourdes et les plus grossières tombent bientôt à terre, il n’en va pas de même pour les parcelles très fines qui peuvent voyager longtemps dans l’atmosphère, entraînées par les vents à des distances énormes. Ces nuages de poussières empruntées au sol forment au loin des pluies terreuses : elles retombent avec de la pluie, — dont elles ont été l’occasion, le prétexte, — et, en raison de la coloration rougeâtre des gouttes de pluie, due aux parcelles minérales d’oxyde de fer qui abondent dans les terres rouges qui donnent naissance à ces sortes de poussières, on a pris ces pluies pour des pluies de sang. Ehrenberg en a signalé plusieurs, et Arago a donné d’intéressans détails sur une pluie de ce genre qui tomba en 1813. Au mois de mars, les habitans de Gerace, en Calabre, aperçurent une nuée dense qui venait de la mer vers le continent, dans la direction de l’est. Cette nuée se rapprocha. D’une couleur rouge pâle d’abord, elle revêtit bientôt une coloration plus foncée, de rouge de feu. La lumière du soleil en fut obscurcie, et des ténèbres envahirent la ville : il fallut allumer