Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un brûleur à gaz, on y trouve jusqu’à 30 millions de poussières. C’est-à-dire que 100 centimètres cubes de cet air renferment plus de poussières que le monde entier ne renferme d’habitans.

On remarquera la grande variabilité des chiffres qui précèdent. Donner une moyenne du nombre de poussières contenues dans 1 centimètre cube d’air est donc chose à peu près impossible. On arrivera sans doute à reconnaître que cette moyenne est généralement inférieure dans les lieux élevés et au milieu des mers, à ce qu’elle est au milieu de la campagne, et que dans les villes il y en a infiniment plus que dans les campagnes ; mais une moyenne présentant quelque constance est difficile à indiquer, car dans une même localité, selon les momens, selon les vents, selon qu’il a plu récemment ou non, les chiffres peuvent différer non pas seulement du simple au double, mais au décuple et au centuple, et beaucoup plus encore.

L’air que nous respirons est donc rempli de poussières, et il faudrait sans doute s’élever bien haut dans l’atmosphère pour y trouver un air exempt de celles-ci ; peut-être même, pour des raisons que nous allons indiquer, faut-il renoncer à le découvrir jamais.

Et maintenant d’où viennent ces poussières ? La réponse n’est pas difficile : les sources de poussière sont multiples. La terre d’abord, dont les parcelles plus fines sont, en temps sec, entraînées par le vent ; les végétaux dont les élémens désorganisés par la décomposition se détachent et s’effritent ; les animaux, aussi, de la peau desquels mille débris se détachent à tout moment ; les combustions industrielles ou domestiques, la fumée des cheminées et des usines étant faite de millions et de millions de parcelles qui se répandent au loin[1] ; les volcans qui, en temps d’éruption, vomissent

  1. On se fera une vague idée de la quantité des poussières déversées dans l’atmosphère par les combustions industrielles en se reportant aux chiffres relevés par M. Aitken pour l’air provenant d’un brûleur de Bunsen (bec de gaz à courant d’air). Du reste, chacun connaît l’aspect caractéristique de l’atmosphère dans les régions à industrie très développée, à Londres, Manchester, Glascow, en Belgique, à Lille, etc. Sans doute, une partie de ces poussières retombe à peu près sur place, — et c’est ainsi qu’en hiver il arrive à Londres qu’on ne voit pas le soleil une heure entière au cours de tout un mois, — mais beaucoup sont transportées au loin. On a vu la fumée de l’incendie de Chicago sur la côte occidentale des États-Unis ; les incendies des plaines et prairies de l’Amérique du Nord produisent des nuages que l’on reconnaît souvent au loin à la teinte qu’ils donnent au ciel (indian haze) ; il en est de même en Afrique, dans la région du Congo (von Danckelman) ; enfin, on sait que les poussières du Krakatoa sont demeurées des années en suspension dans l’atmosphère. Mais ces poussières finissent toujours tôt ou tard par retomber sur le sol ou dans la mer. Jusqu’ici, on n’a peut-être pas beaucoup prêté d’attention à la quantité des sédimens de l’eau de pluie, mais quand on entreprendra cette étude de façon systématique, on y trouvera des données fort intéressantes. Dans beaucoup de cas, les poussières forment manifestement une partie considérable du volume de la précipitation atmosphérique ; tel est le cas, en particulier, pour la pluie jaune ou noire de Chine, et pour la pluie noire qui s’observe assez souvent en Angleterre (à cause de l’abondance des combustions industrielles). Je rencontre deux cas de pluie noire en Angleterre en 1884 (avril et juillet) ; j’en vois encore un en 1889, signalé par lord Rosse, un autre en 1890. La pluie ressemblait à un mélange d’encre et d’eau ; les ruisseaux des rues étaient absolument noirs, et il était clair que la coloration était due à des parcelles de carbone qui se rencontraient en quantité dans l’eau. Ces pluies noires se produisent souvent à de grandes distances des villes industrielles, et si elles ne sont pas plus fréquentes, cela tient sans doute à ce que les parcelles sont rarement assez nombreuses et volumineuses pour être nettement visibles, ou pour donner une coloration marquée.