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semblait que l’air fût entièrement exempt de poussières ; mais, à midi précis, en entrant dans l’ombre d’un pic qui s’élevait au-dessus de nous, le ciel prit aussitôt autour du soleil une teinte blanchâtre ; et le télescope montra que cette apparence était due à des myriades de poussières infinitésimales. » Cette poussière, d’après M. Clarence King, directeur du Geological Survey des États-Unis, était formée de parcelles de loess[1] enlevé par les vents aux plaines de la Chine. Cet océan de poussière, M. Piazzi-Smyth l’a encore observé du haut du pic de Ténériffe. Quiconque a vécu à quelque proximité d’un volcan sait combien l’atmosphère s’obscurcit rapidement et de façon inquiétante, et combien le ciel s’altère dès que survient une éruption. Quel est celui de nous qui n’a remarqué l’aspect particulier du ciel à certains jours, en 1884, après la gigantesque éruption du Krakatoa, dans le détroit de la Sonde, après la formation de ce nuage immense de poussière qui fit plusieurs fois le tour du globe tout entier, et dont une partie demeure probablement à l’heure qu’il est encore suspendue dans l’atmosphère[2] ? C’est en partie aux poussières atmosphériques qu’est due la beauté des couchers de soleil, — et on se rappellera peut-être les admirables couleurs qui accompagnèrent ceux-ci, au moment où le nuage de poussière du Krakatoa passa sur Paris ; — C’est peut-être aussi aux poussières de l’air tombées dans l’eau que la mer doit une partie de son éclat.

En somme, l’atmosphère la plus pure renferme toujours une quantité énorme de poussières[3] ; celles-ci sont plus fines dans les hauteurs et plus grossières dans les parties basses, où leur poids les entraîne, mais elles ne manquent jamais. Il y en a moins à mesure que l’on s’élève, probablement ; il y en a plus après de grands vents, de grands incendies, des éruptions volcaniques importantes ; il y en a moins après la pluie qu’avant, et en pleine mer qu’au-dessus des continens : mais il y en a toujours, et à mesure

  1. Au mois d’avril dernier, M. John Milne a signalé la présence d’un nuage de poussière de ce genre et ayant sans doute la même origine, flottant dans l’atmosphère au-dessus du Pacifique, à quelque 300 ou 500 kilomètres de la côte de Chine. Ce nuage avait de 1,500 à 3,000 kilomètres de longueur, et de 300 à 500 kilomètres de largeur, d’après les rapports résumés par le savant météorologiste dans Nature (A dust storm at sea, 9 juin 1892, p. 128). Les navires passant dans ces parages ont recueilli en abondance de cette poussière qui est fine, de couleur jaune, et que M. Milne croit aussi empruntée au loess des plaines chinoises.
  2. Voir, sur ce point, le beau rapport publié, il y a quelques années, par la Société royale de Londres sur l’éruption du Krakatoa, et dont j’ai donné une longue analyse dans la Revue scientifique.
  3. Voir William Marcet : Atmospheric dust (Royal Meteorological Society, 1890), et S.-P. Langley : A vast dust Envelope. (Nature, 31 janvier 1884, p. 324.)