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L’habit contre la mort a été porté au commencement de notre siècle. Pendant l’épidémie de peste qui a sévi, en 1815, à Noja (royaume de Naples), l’hôpital des pestiférés était en ville, les médecins n’y entraient qu’avec des masques, des gants, des sandales de bois et vêtus de toile cirée. Ils se servaient de grandes perches pour soulever les couvertures des malades et de longues pinces pour toucher leurs effets. Est-il besoin de dire que ces précautions ridicules n’empêchaient pas les personnes que leur devoir retenait dans un pareil enfer d’y contracter la peste et d’en mourir ?

La condition des médecins est toujours cruelle, en temps d’épidémie, mais dans les siècles passés elle était intolérable. Ceux qui étaient désignés pour soigner les malades en ville n’avaient rien à envier à leurs confrères enfermés dans les hôpitaux. « Lorsqu’on apercevoit seulement ès-rues, dit Ambroise Paré, les médecins, chirurgiens et barbiers esleus pour panser les malades, chascun couroit après eux à coups de pierres, pour les tuer comme chiens enragés, disant qu’il falloit qu’ils n’allassent que de nuict, de peur d’infecter les sains. » On a couru sus aux médecins dans des temps plus rapprochés de nous. En 1832, à Paris, lors de la première épidémie de choléra, on les accusa d’empoisonner les malades ; plusieurs d’entre eux payèrent de leur vie leur dévoûment aux malheureux, et cela n’empêcha pas les autres de continuer. Des scènes de sauvagerie plus déplorables encore viennent de se passer en Russie dans le cours de l’épidémie dont nous parlerons bientôt.

À l’époque reculée où se reportent les faits que nous mentionnons, il était de règle, en temps d’épidémie, de désigner les maisons où il y avait eu des pestiférés, par une botte de paille mise à l’une des fenêtres ou par une croix de bois clouée sur la porte principale. Les habitans de ces demeures ainsi mises à l’index, lorsqu’ils allaient et venaient par la ville, étaient obligés de tenir à la main une verge blanche ou un bâton blanc.

On allait quelquefois jusqu’à interdire la circulation dans les rues à la population tout entière. On n’y voyait plus que les agens de la police et les pourvoyeurs chargés d’alimenter les familles. Celles-ci, pour recevoir leurs provisions, faisaient descendre par la fenêtre un panier en fer-blanc suspendu par une chaîne, car le bois, l’osier et le chanvre étaient considérés comme susceptibles de transmettre la peste. Ces quarantaines générales ont été imposées à Gênes en 1576, en 1630 à Toulon, et à Aix en 1720. Pendant de longs mois, la population de ces grandes villes était ainsi mise sous séquestre, attendant la mort ou la délivrance, ne sachant rien de ce qui se passait au dehors, rien de la marche de l’épidémie,