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Wallenstein était un homme de guerre doublé d’un diplomate de premier ordre et d’un grand politique. On a loué avec raison les campagnes de ce général infiniment avisé, aussi redoutable dans la défensive que dans l’attaque, aussi habile à cacher ses projets qu’à les exécuter, étonnant tour à tour ses adversaires par son apparente inaction et par ses coups d’audace, et qui avait pour principe « de faire toujours le contraire de ce qu’on attendait de lui. » On a admiré l’autorité singulière qu’il exerçait sur ses troupes. Ce qu’il faut ajouter, c’est que, comme l’a dit le plus illustre de ses biographes, Léopold de Ranke, cette armée dont il disposait à sa guise était, dans sa pensée, non-seulement l’instrument de sa grandeur, mais l’outil d’une politique, et malgré la différence des époques, on peut dire que cette politique offre plus d’une ressemblance avec celle qu’on a pratiquée dans ce siècle à Berlin.

Jusqu’au temps de ses premiers démêlés avec Ferdinand II, Wallenstein a toujours été le plus déterminé, le plus fougueux des impérialistes. Il aurait voulu changer l’oligarchie allemande en monarchie absolue, détruire au profit de la maison d’Autriche les privilèges, les prérogatives des princes-électeurs. Il allait jusqu’à soutenir que l’empereur avait sur l’Allemagne les mêmes droits que les rois d’Espagne et de France sur leurs royaumes, jusqu’à désirer que la puissance impériale cessât d’être élective, que les pères la transmissent à leurs fils sans que personne eût besoin de s’en mêler.

Pour que, du Danube à la Baltique, Ferdinand II fût vraiment le maître, il fallait lui donner une armée, et il fallait aussi que cette armée, répandue sur toute l’Allemagne, fût commandée par Wallenstein. Mais bien qu’il dût trouver son compte dans l’agrandissement de la maison d’Autriche, son impérialisme n’était pas seulement un calcul, c’était une foi. Nous sommes toujours sincèrement attachés à nos principes quand ils sont d’accord avec notre tempérament. Wallenstein était né autoritaire, et s’il méprisait les républiques, si la Hollande n’était à ses yeux qu’une maison mal tenue et mal famée, une pétaudière, il n’avait pas moins d’antipathie pour les monarchies mixtes, pour les pays où le gouvernement dépend des discussions et des intrigues d’une assemblée. Il aurait pu dire, lui aussi, qu’il voulait faire de la souveraineté de son empereur « un rocher de bronze ; » mais quoiqu’il ne craignît pas le style figuré, il a laissé à un homme d’État de notre temps le soin de trouver cette image, et il s’est contenté de déclarer que les vrais souverains ne sont pas des idoles muettes, qu’ils sont nés pour donner des ordres et pour être obéis.

Les vrais impérialistes regardent du haut de leur grandeur tous les partis et surtout les partis confessionnels ; ils n’admettent pas qu’on oppose une raison d’église, ragione di chiesa, à la raison d’État, qui est leur seule loi. Wallenstein ne prenait aucun intérêt aux querelles théologiques