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LE
NOUVEAU WALLENSTEIN

Quand on veut penser à un grand personnage de l’histoire, qui, après avoir rendu d’éclatans services à un souverain, lui donne des ombrages, encourt la disgrâce de son maître et jure de venger son affront, le premier nom qui vient à l’esprit est celui de l’un des héros de la guerre de trente ans, de ce seigneur bohémien devenu généralissime des armées impériales et qui réunissait dans ses armoiries l’ange de Friedland, l’aigle des Sagan, le taureau de Mecklembourg et le griffon de Rostock. Il est peu d’hommes sur lesquels on ait porté des jugemens plus contradictoires. Lorsqu’il eut péri à Egra, victime d’un complot militaire ourdi par des Irlandais et des Écossais qui avaient deviné les secrets désirs de la cour de Vienne, beaucoup de bons Autrichiens déplorèrent cet assassinat comme un malheur public. On rappelait tous les titres qu’avait Wallenstein à la reconnaissance de Ferdinand II, les situations désespérées d’où il l’avait tiré. On traitait d’odieuses calomnies les accusations de ses ennemis. « Quelle apparence, disait-on, qu’un homme vieilli avant l’âge, tourmenté par la goutte, auquel les médecins ne promettaient plus que deux ans de vie, rêvât de s’approprier le bien de son maître en mettant sur sa tête la couronne de Bohême ?» D’autres, au contraire, le traitaient de félon, de traître, et prétendaient que si on l’avait laissé faire, cet homme superbe et vindicatif eût chassé l’empereur de Vienne, détruit la maison d’Autriche, et bouleversé l’Europe pour s’y tailler un royaume. Apologistes et accusateurs, tout le monde exagérait : on ne peut douter que Wallenstein, s’il avait vécu, ne se fût vengé des ingratitudes de Ferdinand II, on n’a jamais réussi à prouver qu’il eût voulu le détrôner.