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paisiblement dans ses terres de Bohême, aucun de ceux qui l’avaient approché et pratiqué ne pouvait l’admettre ; ses amis comme ses ennemis étaient convaincus qu’il relèverait le gant. Mais quelle serait sa vengeance ? Tournerait-il ses armes contre son souverain ? Marcherait-il sur Vienne ?

Après sa première destitution, il avait ouvert de secrètes négociations avec Gustave-Adolphe ; prévoyant la seconde, il en avait ouvert avec la France. Toutefois, tout porte à penser que c’étaient là de ces négociations illusoires et insidieuses que celui qui les conduit ne se soucie pas de voir aboutir. Ce qui semble le prouver, c’est le soin qu’il avait de les traîner en longueur, c’est aussi l’extrême défiance que lui témoignaient le chancelier Oxenstiern et le cardinal de Richelieu, les précautions infinies qu’ils prenaient en traitant avec ses émissaires. Ils le soupçonnaient visiblement de vouloir mettre des atouts dans son jeu pour obliger Ferdinand II de compter avec lui. Comme l’a dit Ranke, en dépit des apparences, ce rebelle n’était pas un félon, et ce serait lui faire tort que de croire qu’il fut prêt à se jeter dans les bras des Suédois et des Français. Il ne projetait point de renverser son empereur par la force, il voulait se mettre en mesure de lui imposer ses conditions et ses volontés, ou pour mieux dire, il entendait le contraindre à se démettre ou à se soumettre.

Supposez qu’un grand homme né en 1583, mort en 1634 et doué du don de seconde vie, ressuscite au XIXe siècle dans la même situation morale et avec le même caractère, la face du monde ayant changé, il sera tenu de renouveler ses procédés et ses méthodes. Le nouveau Wallenstein, celui qui est né en 1815, n’a jamais eu à sa solde une armée recrutée aux quatre coins de l’Europe ; il n’a jamais conduit sur les champs de bataille des bandes composées d’Allemands mêlés à des Espagnols, à des Italiens, à des Wallons, à des Bohémiens, à des Croates, à des Dalmates, à des Roumains, à des Polonais, et quand il a prévu que son souverain, fatigué de sa prépotence, ne tarderait pas à le remercier, il n’a pu rassembler autour de lui ses colonels pour leur faire jurer de lui demeurer fidèles et de le défendre contre toute insulte. L’empire allemand, qu’il a fondé, n’a plus d’autre armée que celle que commande un roi de Prusse, dont il a fait un empereur d’Allemagne.

S’il ne peut se résigner à sa destitution et digérer son injure, quelle sera sa vengeance ? Vivant dans un siècle où l’opinion publique est la vraie souveraine et se fait obéir tôt ou tard des souverains eux-mêmes, c’est à l’opinion qu’il s’adressera. On agit sur elle par la plume et par la parole ; il écrira, il parlera, et grâce à son prestige, aux grandes choses qu’il a faites, à l’autorité de son génie et de son nom, à sa prodigieuse popularité, à la reconnaissance orgueilleuse d’une nation à qui tout rappelle ce qu’elle lui doit, ses épigrammes et ses réquisitoires