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auront un immense retentissement. Les conseillers privés qui ont travaillé à le perdre en se faisant passer pour des interprètes des ordres divins se sentiront inquiets. Ses successeurs en seront réduits à se défendre péniblement contre ses impétueuses attaques. Quelques-uns songeront à le poursuivre en justice, mais ils savent bien que tout procès qu’on pourrait lui faire serait perdu d’avance, qu’il dirait à ses juges : « Montons au Capitole ! » Assurément, son souverain ne se démettra pas ; mais s’il se voyait contraint de se soumettre, quelle humiliation ! Celui qui a dit que la volonté des princes est la loi suprême ne serait plus qu’une ombre d’empereur, et son maire du palais serait le véritable souverain.

Il y a certes plus d’une différence entre M. de Bismarck et Wallenstein. Ce Nemrod, ce puissant chasseur devant l’Éternel, n’est pas un homme maigre, au teint pâle, blême, aux petits yeux clairs et rusés. Quoiqu’il ait peut-être ses superstitions et que, selon M. Busch, il se défie de la lune et du nombre treize, il ne croit pas à l’astrologie. Il ne s’est jamais plu à louer publiquement ses serviteurs et ses aides, il n’a jamais dit : « Celui-ci nous a donné un bon coup d’épaule dans telle conjoncture, celui-là dans telle autre. » S’il fut toujours avare de ses éloges, il ne fut jamais prodigue de ses récompenses. Il ne s’est pas piqué d’étonner la Prusse et l’Allemagne par sa magnificence et son faste. On ne dit pas qu’il ait voulu faire de Varzin ou de Friedrichsruhe la huitième merveille du monde, ni qu’il s’entoure de pages triés sur le volet dans les plus grandes familles, vêtus de velours bleu ou chamarrés d’or et d’écarlate. Il n’a pas bâti des palais splendides, ornés de portiques, décorés de tableaux et de statues. Jamais dans ses écuries trois cents étalons de choix n’ont mangé dans des crèches de marbre, jamais on ne l’a vu escorté dans ses promenades et dans ses voyages d’une longue suite de carrosses attelés de six chevaux ; jamais non plus il ne s’est fait peindre en triomphateur sur un char traîné par les coursiers du soleil. Ajoutons que jusqu’ici aucun poète digne de ce nom n’a célébré sa gloire. Il n’a pas encore trouvé son Schiller, et il l’attendra longtemps : si éclatantes qu’elles soient, toutes les gloires ne font pas chanter les oiseaux.

Mais que de ressemblances aussi ! Wallenstein aimait à parler presque autant qu’à agir. Il recherchait l’excitation des entretiens, il y donnait libre carrière à sa verve enjouée ou caustique et s’exprimait sur les gens et les choses avec une suprême désinvolture ; on appelait cela ses boutades, et ses boutades n’épargnaient personne, pas même ses amis. Aux épigrammes, aux sarcasmes, il mêlait dans l’occasion les forfanteries, les propos de matamore : « J’aurai bientôt sur les bras, disait-il, Bethlen, Mansfeld et le Grand-Turc ; mais je n’ai pas peur d’eux tous. » Il se plaignait souvent de sa santé, et il avait sujet de s’en plaindre ; il répétait sans cesse qu’il se sentait vieillir, et qu’il