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il y a quelques années Decazeville ne se renouvelât et que le directeur de Carmaux n’eût le sort de l’infortuné Watrin. Voilà le fait. Cette grève, pour le renvoi d’un ouvrier, c’est ni plus ni moins un véritable attentat contre l’ordre public, contre la liberté du travail, contre la vie d’un chef d’industrie.

Depuis, il est vrai, une apparence de calme est revenue à Carmaux. Des forces militaires ont été envoyées pour la protection de la sécurité publique et de la liberté du travail. Les chefs du parquet sont allés représenter la justice et faire des enquêtes. Quelques-uns des meneurs de l’émeute, les plus compromis, ont été arrêtés. La situation ne reste pas moins au fond assez tendue ; elle est d’autant plus compliquée que quelques-uns de ces députés, colporteurs de socialisme, qui accourent partout où paraît l’agitation, n’ont pas tardé à arriver à Carmaux pour se mêler de ce qui ne les regarde pas, pour encourager les grévistes et être un embarras de plus. De fait, les mineurs de Carmaux persistent dans leur grève, réclamant la retraite du directeur, la réintégration de l’ajusteur Calvignac, la mise en liberté des émeutiers arrêtés. La compagnie, pour sa part, sans avoir à s’occuper de l’action militaire ou judiciaire, se retranche dans son droit de maintenir son directeur et de ne pas reprendre un ouvrier dont elle n’a que faire. Les négociateurs s’ingénient à chercher une transaction qu’ils ont de la peine à trouver, qui risque fort de n’être qu’une paix précaire. On en est là à Carmaux ! — À Paris, la grève a été moins tragique, quoiqu’elle ait à peu près le même caractère et procède de la même inspiration. Ici, ce sont les cochers de fiacre qui ont voulu quitter leur siège et ont un instant menacé la population parisienne de lui refuser leurs services quelque peu tyranniques. De quoi se plaignent-ils ? que réclament-ils sérieusement ? quel motif particulier les a décidés à tenter en ce moment l’aventure d’une grève nouvelle ? Ils ont, eux aussi, reçu le mot d’ordre d’un homme qui a l’art de les faire manœuvrer et de leur persuader qu’il va faire triompher leur cause. Ils n’ont pas plus de griefs aujourd’hui qu’hier, ou s’ils ont des griefs, ce n’est sûrement pas la grève qui adoucira leur condition et leur donnera ce qu’ils demandent. Ils en sont toujours à se débattre avec leurs patrons, les entrepreneurs de voitures publiques, sur une moyenne insaisissable, sur un compteur, auquel ils tiennent d’autant plus qu’il paraît presque impossible à établir et que M. le préfet de la Seine, sans en avoir peut-être le droit, vient de décréter, — pour l’an prochain ! Le mouvement, il faut le dire, a manqué de spontanéité et d’entrain. Il n’a pas tardé à céder devant l’attitude des entrepreneurs, qui, à leur tour, ont menacé de répondre à la grève par la grève, en licenciant leur personnel, en fermant leurs ateliers et leurs établissemens. Sous cette menace, la débandade a commencé et les cochers ont repris tant bien que mal leur service ! Le moyen était héroïque sans doute, il a été efficace.