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ainsi que risquent toujours d’être perdues les meilleures causes, et la cause des intérêts populaires trahis par des syndicats sans garanties, et la cause des libertés locales compromises par les excès de quelques municipalités anarchiques.

Comment donc tout cela est-il devenu possible ? Comment peuvent se produire en pleine paix, en plein repos des vacances, des incidens qui ne sont que des incidens si l’on veut, mais qui n’ont pas moins leur signification et qui répondent si peu aux sentimens, aux vœux, à l’état général du pays ? C’est évidemment la suite d’une série de faiblesses, de complicités du gouvernement, de tous les pouvoirs qui ont toujours peur de ce terrible mot de réaction, qui craignent d’avouer virilement une politique. En ce moment même, M. le préfet de l’Isère ne trouve rien de mieux que d’exalter une loi qui n’est pas une loi, qui a été désavouée parle sénat, — qui compléterait la domination des syndicats et l’asservissement des chefs d’industrie. M. le préfet du Nord regarde d’un œil complaisant tout ce qui se passe à Roubaix. Il faudra bien cependant en finir : c’est le sentiment universel I Dans cette courte session des conseils-généraux qui vient d’occuper quelques jours, les discours n’ont certes pas manqué. Et M. le ministre des affaires étrangères, et M. le ministre des finances, et M. le président du conseil lui-même, et l’ambassadeur de France à Londres, M. Waddington, et M. Jules Ferry, et bon nombre de républicains ont parlé en hommes qui sentent plus ou moins la nécessité d’une politique nouvelle, plus assurée et plus libérale. Malheureusement, les paroles ne sont que des paroles, et c’est par l’action, par une action vigilante, protectrice, réparatrice, que la France paisible peut se sentir garantie dans sa sécurité, dans tous ses intérêts.

Tout se passe autrement en Angleterre, pays de génie pratique et jde vieux usages, où, quelle que soit la hardiesse des réformateurs, la sécurité nationale n’en est point atteinte. Un ministère s’en va, un ministère nouveau arrive, la politique est assurément changée ; mais telle est l’organisation des partis que la transition s’accomplit tout naturellement, sans secousse et sans trouble. Ainsi s’est passée cette dernière crise ministérielle dénouée il y a quelques jours en plein parlement entre minuit et une heure du matin par le vote de non-confiance qui a frappé le cabinet conservateur.

À dire vrai, la discussion de l’adresse à la reine, ce premier acte du nouveau parlement n’était qu’une formalité, une occasion d’explications assez vives entre les partis, entre les conservateurs et les libéraux. Le vote était prévu et connu d’avance. La majorité de quarante voix que les libéraux devaient aux élections s’est retrouvée exactement au scrutin de la chambre des communes. Lord Salisbury s’est tenu pour averti et s’est rendu aussitôt à Osborne pour remettre les sceaux à la reine qui, à son tour, a chargé M. Gladstone de constituer un ministère.