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Le vieux chef avait assurément ses idées arrêtées et son personnel tout trouvé. L’œuvre ne laissait pas cependant d’être assez compliquée. La difficulté était de concilier les élémens divers de cette majorité nouvelle, de maintenir dans toute son intégrité le programme libéral sans trop effaroucher le vieil esprit anglais, de faire marcher ensemble les Irlandais et le radicalisme grandissant. M. Gladstone a mis tout son art à combiner ces divers élémens entre lesquels, seul peut-être, par son autorité, il peut maintenir une cohésion suffisante. L’aristocratie libérale est représentée dans le nouveau ministère par lord Kimberley, lord Spencer, lord Herschel, lord Ripon, par lord Houghton qui devient vice-roi d’Irlande, par lord Rosebery qui s’est décidé à entrer au foreign office. D’un autre côté, M. Gladstone a réuni autour de lui les chefs les plus actifs du libéralisme, sir William Harcourt, le nouveau chancelier de l’échiquier, — M. John Morley, son premier et plus éminent lieutenant, M.Mundella, sir George Trevely an ; il n’a pas craint de s’associer des esprits hardis comme M. Henri Fowler, M. Altand qui entrent au gouvernement local et à l’instruction publique. Il n’est pas allé jusqu’à M. Labouchère, le spirituel radical qui amuse depuis quelques jours le public par ses indiscrétions sur sa candidature au pouvoir. M. Gladstone n’a pas moins réussi à compléter son œuvre ministérielle comme il l’entendait. Cela fait, les nouveaux ministres n’ont plus eu qu’à se faire réélire, et le parlement a été ajourné au mois de novembre pour être sans doute ajourné de nouveau en novembre jusqu’au mois de février. C’est déjà presque entendu !

Voilà donc le ministère libéral constitué et établi au moins pour quelques mois ! Que fera-t-il maintenant ? Il y a d’abord un point sur lequel il ne peut y avoir aucun doute. M. Gladstone n’a ni la volonté, ni la possibilité d’éluder le premier article de son programme, la grande réforme irlandaise. Il a combattu pour la politique du homerule, il arrive avec cette politique aux affaires ; il est tenu de la réaliser, non pas au hasard, avec la légèreté d’un théoricien chimérique, mais avec maturité, en homme d’État préoccupé de concilier une œuvre de généreuse réparation avec l’intérêt de l’empire britannique. M. Gladstone ne peut non plus songer à écarter toutes les revendications du radicalisme qui est son allié, qui, avec les Irlandais, est une des forces de sa majorité. Il n’ira pas sûrement aussi loin que le voudraient les radicaux, et M. John Morley n’a pas craint de risquer sa popularité, peut-être son élection, en se prononçant courageusement contre la limitation des heures de travail ; mais il y a d’autres réformes possibles, et M. Gladstone n’est pas homme à reculer devant une politique de hardie et libérale démocratie. C’est sur ces points que se livreront les grandes batailles d’hiver entre les libéraux et les conservateurs. Quant à la politique extérieure du nouveau cabinet, on savait bien d’avance qu’elle ne change pas d’un ministère à l’autre, el