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devanciers, se plaisaient à reconnaître en théorie cette attribution ; mais ils se gardaient bien d’en assurer le fonctionnement pratique. Convaincus que l’omniscience parlementaire suffisait à tout, ils n’admettaient pas que le conseil d’État intervînt dans la tâche du législateur, sinon à titre exceptionnel et en tant qu’il plairait aux pouvoirs publics. Dès lors, qu’avait-on besoin d’une section de législation ? On s’abstint de la rétablir.

Je dois ajouter qu’il y avait aussi là une question d’économie. On était au lendemain de la guerre ; les charges du budget s’amoncelaient, écrasantes. On n’en était que plus empressé à réagir contre les prodigalités impériales. On rognait de toutes parts ce que l’on est convenu d’appeler « les gros traitemens. » Les nouveaux conseillers furent, en conséquence, gagés au rabais. On estima que seize mille francs (au lieu de vingt-cinq mille) devaient suffire désormais à rémunérer leurs services. Pour les mêmes causes, leur nombre fut limité à vingt deux. Or, jamais, sous aucun régime, l’effectif des conseillers n’était descendu à un pareil chiffre. Jamais aussi l’on n’avait autant resserré les cadres de la maîtrise et de l’auditorat. Ce diminutif de conseil serait-il seulement viable ? Les hommes compétens en doutaient. La situation était sans précédent, et il me semble que, dans la suite, on l’a trop oublié. L’organisation insuffisante de 1872, voilà en effet la justification de la loi du 13 juillet 1879. En augmentant le personnel des conseillers, des maîtres des requêtes et des auditeurs, et en créant une section de législation, qu’a-t-elle fait, cette loi tant dénigrée, sinon restituer au conseil d’État des conditions de vie normales, et rétablir ce qui avait, on peut le dire, existé de tout temps ?

Je reconnais, d’ailleurs, que la loi du 13 juillet 1879 peut être envisagée sous deux aspects fort différens. À n’en regarder que le texte, elle développe, elle complète le statut organique de 1872, dont elle est l’acte additionnel. Mais si l’on en cherche les raisons secrètes, qui furent, comme il arrive presque toujours, les raisons vraies ; si vous interrogez les faits qui la précédèrent et qui l’expliquent, alors elle apparaît comme une loi de circonstance, et l’on conçoit qu’elle ait été surtout, dans la pensée du gouvernement qui la présenta et des chambres qui la votèrent, une mesure politique et un expédient.

La vérité est que le conseil d’État, demeuré tel que l’avaient fait les choix de l’assemblée nationale, était devenu un sujet d’embarras pour le ministère qui avait succédé, quelques jours après l’élection de M. Grévy, au cabinet présidé par M. Dufaure. Quel était le mandat, quelle était proprement la raison d’être de ce ministère nouveau ? Il s’agissait de donner à la politique intérieure