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une orientation plus conforme aux vues de la majorité républicaine. Et dès lors, une question se posait, de jour en jour plus pressante : la question des fonctionnaires. On réclamait d’urgence « l’épuration. » Dans cette situation, le conseil d’État, je veux dire son personnel, était la pierre de scandale et le point de mire. Il était là, isolé de toutes parts au milieu des pouvoirs publics renouvelés, comme une bastille laissée en territoire ennemi par la coalition des droites, que les républicains avaient passé huit ans à combattre. Pouvait-on, devait-on admettre cette anomalie d’un conseil d’État monarchiste sous un régime républicain, et réfractaire, sinon hostile, au gouvernement dont il était, par son institution même, l’auxiliaire quotidien et le confident obligé ? Quelques personnes auraient voulu que l’on s’en remît au temps, qui renouvelle si vite toutes choses. Mais la majorité dans les deux chambres appelait un changement immédiat. On proposait un moyen radical, la dissolution[1]. Le garde des sceaux, M. Le Royer, dans un louable esprit de modération, y répugnait. Pourquoi recourir à des moyens extrêmes, si l’on pouvait, avec les ménagemens convenables, atteindre au même résultat ? En effet, le projet de loi, créant dix sièges de conseillers d’État, allait permettre au gouvernement d’introduire dans la place des partisans dévoués. Et puis on avait la ressource des révocations individuelles ; procédure certes rigoureuse, mais prévue par la loi de 1872, et dont l’application pouvait du moins être restreinte à quelques membres plus particulièrement compromis. En conséquence, dès le lendemain du jour où fut promulguée la loi, le Journal officiel publiait un décret qui nommait les titulaires des dix sièges institués la veille, et mettait à la retraite ou relevait de leurs fonctions neuf conseillers. On sait comment ceux mêmes que le décret épargnait tinrent à honneur de partager la disgrâce de leurs collègues et envoyèrent leurs démissions. Le personnel ancien se retirait en masse, et ce fat à vrai dire une assemblée nouvelle qui, peu de jours après, s’installa sous la présidence de M. Faustin Hélie.

La loi du 13 juillet 1879 fut donc avant tout, et par son origine et par son principal objet, une loi politique. Elle n’en contient pas moins des parties excellentes. La disposition qui permet aux conseillers, aux maîtres des requêtes et aux auditeurs de première classe d’être appelés temporairement à diriger de grands services publics sans perdre leur titre et leur rang au tableau est inspirée par un sentiment juste des conditions inhérentes à l’institution et du concours mutuel que le conseil d’État et l’administration doivent

  1. La commission de la chambre et son rapporteur, M. Franck Chauveau, réclamaient une investiture nouvelle. Voir aussi le rapport de M. Lenoël au sénat.