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pourtant, j’avais l’autre jour sur ma table ces deux figures de politiciens qui s’offraient complaisamment à mon choix et qui ne m’inspiraient absolument rien, sinon peut-être le souvenir de deux vers de Musset :


— Moi, j’ai l’air d’un marquis !
— Moi, j’ai l’air d’un ministre !
— Spadille a l’air d’une oie et Quinola d’un cuistre.


J’ai mis d’accord les deux prétendans en les jetant au panier, d’où la housemaid les a pieusement exhumés pour les épingler au mur de sa chambre, comme faisait Toinon de la vignette qui enjolivait la thèse de Thomas Diafoirus.

La partie la plus effective et la plus amusante de l’intrigue électorale, c’est le canvass. Le canevasseur est un type que La Bruyère eût aimé à décrire. Gracieux, souriant, affable, il va sonner à toutes les portes. Il serre les mains qui se présentent, propres ou non, sans faire la grimace : « Quelle belle matinée ! quelle magnifique après-midi ! quelle soirée superbe ! » Il vient en voisin, en ami : — « Ne vous dérangez pas ! » Il est respectueux avec la femme, familier avec le mari. Hé bien, oui, il vient pour causer de cette élection… Mais il n’a pas la prétention d’en remontrer à son interlocuteur, oh ! non… Il a des formules déférentes, flatteuses, qui grattent l’homme du peuple au bon endroit : « Vous savez aussi bien que moi… » ou : « Ce n’est pas à un homme comme vous qu’on fera accroire… » Entre temps, il caresse l’enfant à tête blonde frisée, qui est venu se jeter dans ses jambes. « O la jolie petite fille ! Voulez-vous me permettre de l’embrasser ?» Et, avisant un dadais qui s’est collé au mur d’un air bête et farouche : « Qu’est-ce que vous faites de ce grand garçon-là ? Il a l’air intelligent. »

La canevasseuse, si l’on me permet de créer aussi ce mot nécessaire, est encore plus habile que le canevasseur, par cette simple raison qu’elle est femme. Elle n’a pas peur de salir sa robe, s’intéresse à tout, en bonne ménagère. « Ah ! c’est là que vous faites sécher votre linge ? Vous êtes contente de votre poêle à gaz ? Vous avez là des géraniums qui poussent admirablement. Savez-vous que votre fenêtre est comme une petite serre ? » Elle remarque et approuve tout : « c’est comme cela que je fais à la maison. » Elle glisse un ou deux mots de politique : « Si nous avons M. Gladstone, tout ira bien. Le thé et le sucre seront pour rien.» Au contraire lorsque celle qui par le est une primrose dame, elle conclut avec un gros soupir : « Ah ! si nous avons M. Gladstone,