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du parlement. Chaque matin, on donnait la volée à un nouveau canard. Un jour, c’étaient les neuf parnellistes, un autre jour les membres ouvriers qui allaient abandonner leur chef sur le champ de bataille. Le correspondant d’un journal de province tenait de source certaine que M. Gladstone, convaincu maintenant de la répugnance profonde qu’inspire à l’Angleterre le home-rule irlandais, renonçait à ce projet favori ; sur quoi, l’Irlande se dressait, folle d’angoisse. Le lendemain, nouvelle confidence, toute contraire, du même correspondant, encore mieux informé. M. Gladstone ne voulait entendre parler que du home-rule et faisait fi du reste ; aussitôt les radicaux montraient les dents. Ou bien encore, M. Gladstone était malade, il ne pourrait paraître à Westminster. Sa famille, son médecin, la reine elle-même, dans sa haute sollicitude, ne lui permettraient pas d’affronter les fatigues de la chambre des communes. On allait « l’élever » à la pairie, c’est-à-dire l’enterrer vivant, jeter son armée dans l’anarchie à la veille même du combat.

À ce moment précis, les cinq parties du monde, qui s’étaient tenues fort tranquilles tant que lord Salisbury avait été ministre, commençaient à s’agiter. Au Maroc, en Bulgarie, dans l’Afghanistan, dans l’Uganda, partout des difficultés. Les Russes apparaissaient tout à coup sur les plateaux désolés des Pamirs. À Alexandrie, on avait confisqué un omnibus qui appartenait à des jésuites français, et l’on sait si ces bons pères ont le bras long. L’approche d’un ministère Gladstone soulevait déjà des questions irritantes, des problèmes dangereux, rendait l’espoir et l’audace aux ennemis de l’Angleterre. Que serait-ce lorsqu’il serait définitivement installé au pouvoir !

Lord Salisbury, ne considérant pas comme suffisamment clair le congé donné par les électeurs, et s’autorisant de certains précédens, allait, avec son ministère, se présenter devant le parlement. Il ne se retirerait que sur un vote motivé et après discussion contradictoire. Il voulait forcer M. Gladstone à s’expliquer sur son programme, ou plutôt sur ses programmes, afin de bien mettre en évidence le caractère composite de la majorité libérale. M. Gladstone désirait se taire ; ses adversaires devaient donc tout tenter pour le faire parler. C’était le trait du Parthe, la dernière malice de lord Salisbury.

Le parlement s’est donc réuni le 4 août. Trois jours ont été consacrés à réélire le speaker, à obtenir l’agrément de la reine pour cette nomination et à prêter serment. Le 8, en réponse au discours du trône, le plus aride et le plus nul que Westminster ait jamais entendu, une adresse a été proposée par le parti conservateur.